Tandis qu'une douce mélodie s'élevait dans le ciel, tous les fidèles priaient dans l'église. Elias détestait la messe. Petit, il rechignait toujours à suivre sa mère. Au Royaume-Uni, les cérémonies n'étaient pas très différentes. Cependant, pour l'occasion, il s'était plié aux désirs de sa famille d'accueil.
Seulement quelques personnes se rassemblaient autour du corps d'Ellen. De nombreux habitants du quartier la connaissaient, mais ils avaient déjà fait leur deuil. La mort était devenue légion et personne n'avait le temps d'assister à chaque cérémonie funèbre.
Le cercueil, une simple boîte en bois gravé au nom de Mrs Sanders, fut conduit jusqu'au cimetière et on le couvrit de terre. Elias jeta une poignée de terre comme les autres fidèles. Clara, elle, les larmes aux yeux, sema des graines de tournesol, la main tremblante. Ensuite, elle se détourna. Elias tentait de réconforter son amie, mais cette dernière le rejetait, sa rancœur persistait à cause des secrets accumulés. Elle s'éloigna et partit seule dans les rues froides de Londres.
— Je ne pourrais jamais vous remercier assez pour être venu rendre un dernier hommage à Ellen. Ma femme restera dans nos cœurs, conclut John la voix brisée.
Elias se retira en même temps que les autres fidèles afin de laisser Mr. Sanders se recueillir. Toutefois, ce dernier le rattrapa.
— Tu ne veux pas te reposer ? demanda Elias impressionné par sa force.
— Non, c'est bon. J'ai une bonne nouvelle pour toi ! Mon chef est d'accord pour te rencontrer, je t'accompagnerai là-bas, mais je ne resterai pas à l'entretien. Il est disponible dès maintenant. Te sens-tu prêt ou bien souhaites-tu attendre encore un peu ?
Elias paniqua, son cœur s'emballa. Il ne s'était pas préparé à voir le responsable si tôt. Intérieurement, il avait presque espéré que ça traînerait. Cependant, il se tenait devant une chance, peut-être unique, de montrer sa vraie valeur. Il ne fallait pas la manquer.
— Allons-y, ce sera fait... déclara-t-il d'une voix assurée, quoique vacillante. Je suis prêt.
— C'est ça que je veux entendre, mon garçon ! sourit le boulanger. Fais attention en me suivant. Surtout, ne te fais pas remarquer !
Le duo s'engagea à travers les ruelles de Londres. Elias traversa des quartiers sombres qu'il n'avait pas l'habitude de parcourir. Des Londoniens traînaient dans les rues, mais ils n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Leur visage squelettique et les os qui saillaient derrière leur chair firent prendre conscience à Elias que la situation dans la rue s'était détériorée plus qu'il ne le pensait.
Restant solide, il continua à marcher d'un pas vif à la hauteur du boulanger. Ses yeux glissaient sur les bâtiments en ruine, sur les déchets jetés pêle-mêle dans la rue. Des rats fouinaient par-ci, par-là, en quête d'une nourriture inexistante tandis que de rares chats se baladaient aussi maigres que des clous.
John freina son allure et Elias lui rentra dedans, manquant de le faire défaillir.
— Nom de nom, Elias ! Fais attention où tu marches !
Il se reprit bien vite et toqua quatre coups brefs sur une porte délabrée. Une petite fenêtre s'entrouvrit.
— Nom de code ? demanda une voix pâteuse.
— Orlando. J'amène un nouveau venu. Nous avons un rendez-vous important avec Frido.
Le battant s'ouvrit juste le temps de laisser passer le duo, puis quelqu'un le referma. Ils saluèrent le gardien avant de continuer sa route.
Le parquet grinçant et les lumières vacillantes qui projetaient des ombres inquiétantes sur les murs crépis poussaient Elias à sursauter au moindre bruit tandis que son cerveau tournait à plein régime. Que signifiaient les prénoms utilisés ? John s'était présenté comme un certain Orlando sans plus donner d'explication.
Après plusieurs détours et une volée de marches, ils arrivèrent devant une porte noire. Un rai de lumière filtrait en dessous du battant, cependant il ne suffisait pas à éclairer le couloir. Elias n'avait presque rien vu de la maison à cause de la pénombre persistante, mais dès que John le poussa à l'intérieur de la pièce, il fut ébloui. Le contraste était saisissant.
De grandes fenêtres s'ouvraient sur l'extérieur apportant un flot de lumière, un lustre suspendu au plafond étincelait de mille feux lui aussi. Mettre en lumière pour mieux cacher...
— J'avais raison ! sourit Elias.
Son paternel le fixa avec de gros yeux mais il ne s'en soucia pas. Comme dans son imagination, le chef du réseau possédait une petite moustache ainsi qu'un ventre bedonnant à en faire éclater les boutons de son gilet. Son visage rond exposait des dents dans tous les sens et de toutes les teintes de jaune possible. Il se tenait derrière un bureau encombré de mille objets inutiles et de gros tas de feuilles.
— Ah, bienvenue dans ma vaste demeure ! entama-t-il d'une voix tonitruante en levant la tête vers ses visiteurs. Pour ta propre sécurité, je ne te demanderai pas ton nom. En revanche, je t'invite à t'asseoir !
Il désigna un siège recouvert d'une fine pellicule de poussière sur lequel Elias se posa, impressionné par cet étrange personnage. Quelque chose le dérangeait, sa voix trop forte peut-être...
— Orlando, tu peux partir, remercia l'inconnu d'un signe tête vers John qui sortit de la pièce. Je demanderai à Juin de le raccompagner !
Elias allait de surprise en surprise.
Ils sont fous par ici ? Comment un mois va me ramener chez moi ? Je devrais peut-être changer d'avis...
Son interlocuteur le fixa avec un petit sourire et Elias ne trouva rien à redire.
— Bien, pas besoin de me présenter, j'imagine que tu sais déjà qui je suis. Mais, je vais le faire quand même parce que j'aime bien dérouler mon curriculum vitae ! rit l'homme de toutes ses dents jaunes. Je suis Frido, le chef de ce réseau. Tu es ici pour t'entretenir avec moi quant à ton éventuelle intégration au sein de la Résistance.
Il ponctua sa phrase par un petit gloussement puis reprit contenance. Elias soupira ; l'entretien allait être long.
— J'aimerais t'interroger sur tes motivations. Pourquoi donc as-tu envie de devenir résistant ? Ne me révèle pas ton passé ! Il faut que j'en sache le moins possible sur toi, juste sur tes envies !
— Depuis que j'ai entendu l'appel du général de Gaulle, commença Elias...
Comme l'anonymat semblait important, il réduisit au maximum son histoire et évoqua seulement sa nationalité française. Il raconta ce qui le révoltait dans cette guerre effroyable. À sa grande surprise, il découvrit que Frido était une oreille attentive, savant poser les bonnes questions. Après plus d'une heure de questions-réponses, son attente prit fin. Alors que ses mains tressautaient sur ses genoux et qu'il espérait avoir bien répondu, Elias écouta le chef du réseau.
— Je crois que tu es apte à entrer dans la Résistance. Mais tout d'abord, il te faut choisir un pseudo, un nom de code. Personne au sein du réseau ne doit savoir ton véritable nom, ta véritable vie. Sauf, bien entendu, Orlando puisque vous semblez proche. Pour les autres, l'anonymat est obligatoire ! Je te laisse quelques jours pour y songer. Je te contacterai dans la semaine pour prendre de tes nouvelles. Si tu es toujours d'accord, je t'intégrerai dans le réseau. En attendant, bon vent ! Juin va te raccompagner.
Elias resta quelques secondes, abasourdi. Il ne bougea pas d'un poil, perdu dans ses pensées. C'était aussi simple que cela ?
— Hé bien, jeune homme ! s'amusa Frido. Tu as perdu ta mobilité et ta langue ?
Reprenant ses esprits, Elias bondit et quitta la pièce sans un mot. Un résistant l'attendait dehors – ce n'était pas un mois, mais bien un homme – et le raccompagna jusqu'au centre-ville où il le laissa retrouver son chemin. Pourtant, Elias demeurait là, hébété. Une question tournait en boucle dans sa tête.
Dans quelle aventure venait-il de se lancer ?
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Prêt à vous lancer dans l'aventure avec Elias ?
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Résistant
Ficção Histórica18 juin 1940. Pendant des semaines, la voix du général de Gaulle résonne dans le cœur d'Elias. Un soir de septembre, prenant son courage à deux mains, il intègre la Résistance mais très vite, distribuer quelques tracts dans les rues de Londres ne lu...