Chapitre 8

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Elias avait manqué de glisser plusieurs fois sur les pavés de Londres. Une pluie fine s'était abattue sur la ville et l'avait mis en rogne. Une énième dispute entre les deux mégères de sa rue l'avait retardé. La journée commençait mal...

Ses yeux se remplirent de larmes quand il vit Louis. D'ordinaire, les deux amis travaillaient toujours côte à côte. Ils ne parlaient pas souvent, leur seule présence suffisait. Un lien immense les reliait mais s'était-il brisé ?

Son ami était bien entouré, des ouvriers bavardaient à sa droite et à sa gauche. C'était plus qu'il ne pouvait supporter.

Sa gorge se serra, ses muscles se contractèrent et des larmes perlèrent sur ses cils. Non, il ne pouvait pas pleurer, il devait rester fort. Il avait raison. Louis aurait dû changer d'avis pour devenir résistant.

Elias se plaça devant un établi avec pour seule voisine, une porte. Il commença son travail et acheva le montage des pièces en un temps record. Sa rancœur décuplait ses capacités, remplacée peu à peu par de l'amertume. Il œuvrait pour oublier sa colère qui ne cessait de refaire surface.

Dans le réfectoire, la confrontation avec Louis devint inévitable. Les néons vibraient au plafond et diffusaient une lumière abstraite. Elias s'assit à sa place habituelle et débuta son repas. Les topinambours étaient sans grand intérêt, ils durcissaient sous ses dents. Il scrutait la queue, espérant de tout son cœur que Louis le rejoigne.

Ce dernier arriva à petit pas et hésita quelques instants, gardant la tête baissée, se balançant d'un pied à l'autre. Il finit par poser son assiette en face de celle d'Elias.

Pendant plusieurs minutes, personne ne parla, les deux amis écoutaient les conversations aux alentours. Leurs regards s'entrechoquaient par moment, pour vite se détourner. Au bout de quelques minutes, ils prononcèrent un mot d'excuse à voix basse en même temps. Leurs paroles se perdirent dans le brouhaha.

Elias ne put retenir un petit gloussement malgré le sérieux de la situation. Devant leur synchronisation, son ami éclata de rire, lui aussi. En entendant son rire puissant, des dizaines de paires d'yeux se fixèrent sur le duo. Aucun ouvrier ne comprenait bien ce qu'il se passait, mais c'était sans importance. Ils se rallièrent à leur gaieté et des sourires se dessinèrent bientôt sur chaque visage.

Cela faisait du bien de rire, au mépris de la guerre. Elias et Louis se dévisagèrent, concluant un pacte silencieux. Ils s'étaient réconciliés par un simple fou rire, par un simple moment de bonheur.

Cela signifiait tout pour Elias ; leur lien était puissant, inébranlable. Il ne se briserait pas à cause d'une simple dispute. Il balbutia des mots dont il ignorait l'existence :

— Excuse-moi ! Je suis vraiment désolé. Je n'aurais pas dû te forcer. Ta religion aurait dû me sauter aux yeux depuis que je te connais, poursuivit-il en chuchotant afin de ne pas attirer l'attention des ouvriers. Je m'excuse de ne pas en avoir pris conscience plus tôt. Tu as raison, je suis vraiment con...

Elias ne se sentait pas bien en prononçant ses paroles, il n'avait pas pour habitude de se remettre en question. Cependant, il savait cela nécessaire. Son ami secoua la tête en souriant.

— Hé bien, ça fait plaisir d'entendre ça ! pouffa-t-il. Mais... Ce coup-ci, j'ai eu tort. Je l'avoue. Tu as raison, je devrais t'écouter, essayer d'aider mes compatriotes, tous ces juifs qui souffrent chaque jour tandis que moi je vis une petite vie paisible. Je dois avouer que... Hé bien, tu m'as ouvert les yeux... Avant, j'étais trop égoïste pour le reconnaître.

Il ajouta à voix basse.

— Je vais rejoindre la Résistance, si on m'accepte. Ce sera peut-être la seule bonne chose que j'ai faite dans ma vie !

Elias trouvait que cette réconciliation ressemblait un peu trop aux romances qu'il avait parfois volées dans la chambre de Clara. Il hocha tout de même la tête et sourit.

— Je suis content que tu sois revenu sur ta décision, cela aurait été triste de passer à côté de cela. Sache que pour moi tu n'es ni égoïste, ni débile, tu es une personne extraordinaire et je suis fier de t'avoir comme ami !

Les mots sonnaient faux, mal exprimés. Pourtant au fond de lui, Elias savait que ce n'était que la vérité. Il ignorait juste comment le dire. Il était reconnaissant que son ami se soit arrêté au cours de l'automne 1934 et qu'il lui ait glissé une pomme. Le futur résistant sourit également et ferma les yeux en dodelinant la tête. Les deux amis s'étaient retrouvés grâce aux paroles maladroites d'Elias, fidèle à lui-même. Maladroites, mais spontanées.

La cloche indiquant la fin du déjeuner sonna et les ouvriers se levèrent d'un seul mouvement. Ils s'étaient détournés du duo après leur fou rire, mais ils continuaient tous à arborer un grand sourire, revigorés d'une joie nouvelle.

Elias, lui aussi, était heureux. Il s'installa aux côtés de Louis et songea à leurs futures actions grandioses. Tout allait bien à présent qu'ils s'étaient réconciliés. Ils seraient tous deux résistants. Un jour, peut-être, ils pourraient partir en France, ensemble, vers leur terre d'origine !

***

Hello !

Voilà un très court chapitre, qu'est ce que vous en avez pensé ? 

Bonne semaine et à lundi prochain ! <3

RésistantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant