.・✭ Animal Tatoo : La colère du Duc de Concorba

6 : Havre Vert

Comme l'avait prédit Rollan, la traversée de Concorba à Havre Vert fut interminable. Leur cage étant juste assez grande pour leur permettre de se mettre debout et de s'étirer, les deux enfants passèrent la majorité des dix jours que dura le voyage assis épaule contre épaule, à discuter du bon vieux temps pour tâcher de ne pas penser à la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvaient. 

De temps à autres, sûrement aux alentours des midi, un homme, toujours le même, venait leur apporter une gamelle contenant une bouchée de bouillie infame, probablement de la purée de restes de poisson. Il ne s'attardait jamais assez longtemps pour que Rollan ou Meilin n'ait le temps de lui soutirer quelconque information quant à l'avancée du trajet. 

Les premiers jours, Meilin avait refusé de toucher à cette soi-disant nourriture qu'on leur servait dans l'unique but de les maintenir en vie suffisamment longtemps pour obtenir leur rançon, mais très vite, elle s'était rendu compte qu'elle n'avait pas vraiment le choix. 

Un matin, ou peut-être un soir, alors qu'ils finissaient tout juste de manger les restes de leur festin, des cris se firent entendre sur le pont. Ce n'était pas pour ainsi dire inhabituel, mais cette fois, ils semblaient beaucoup plus heureux qu'à l'accoutumée. Croisant les doigts pour que cette vague d'enthousiasme signe la fin de leur calvaire, Rollan et Meilin tendirent l'oreille. 

Les voix des marins s'éloignèrent, puis revinrent, accompagnées de bruits de cordages. Bientôt, des hommes se mirent à descendre dans la cale pour venir chercher divers matériaux embarqués pour commercer avec les Capes Vertes.

« On a accosté », souffla Rollan à l'oreille de son amie.

Celle-ci acquiesça en silence. Au même instant, Maugan, qu'ils n'avaient pas revu depuis leur petite altercation avec Scott, vint se planter devant leur cellule. De solides cordes pendaient dans sa main gauche. Il ne dit pas un mot tandis qu'il faisait sortir l'un après l'autre les enfants de la cage et leur attachait fermement les mains dans le dos. Il se contenta de leur aboyer un : « Avancez ! » avant de les pousser sans ménagement vers l'échelle. 

Une fois la trappe passée, les enfants furent éblouis par la lumière du soleil qui éclairait tout le pont. Après des jours passés dans l'obscurité quasi-totale, une telle clarté les rendait presque aveugles. Maugan, qui avait visiblement dû payer cher leur petite rébellion, n'eut pas la délicatesse de leur laisser le temps d'habituer leurs yeux et les fit descendre du bateau en les poussant dans le dos. 

Autour des enfants, les marins, aidés de quelques Capes Vertes s'activaient pour décharger le plus vite possible les marchandises. Meilin aurait voulu crier aux hommes et aux femmes arborant le tissu émeraude sur leurs épaules de venir les sortir de là, mais elle savait que cela aurait été vain. 

Sans sa propre cape pour témoigner de son appartenance aux rangs des Tatoués, elle n'avait pas grand-chose pour prouver son identité, excepté le tatouage de Jhi, que Maugan s'était appliqué à dissimuler sous un ruban de façon à ce qu'elle ne puisse pas faire appel à son animal totem. 

Maugan les conduisit Rollan et elle jusqu'à la lisière de la forêt bordant Havre Vert et les fit asseoir au pied d'un gros chêne. Il les ficela  solidement au tronc de ce dernier et s'en fut aider les autres, décrétant qu'ils n'étaient pas assez dangereux pour mériter un garde attitré. Si le jeune homme avait dû recevoir une bonne correction pour les avoir laissé frapper Scott, ce n'était rien à côté de celle que son capitaine lui infligerait en s'apercevant du manque de jugement dont il venait de faire preuve. 

A peine eut-il disparut dans la foule que Rollan siffla entre ses dents pour appeler Essix qui effectuait de grands cercles au-dessus de leurs têtes depuis qu'ils avaient remis un pied sur la terre ferme, attendant le signal de son maître. A peine eut-elle perçu le bruit qu'elle fondit en piquet entre les branches des arbres.