J+37
J'étais maintenant assise dans la simple et épurée salle de thé de la maison dans laquelle nous venions d'entrer. La pièce était en forme d'un hexagone avec des murs blancs et était équipée d'une véranda donnant sur un humble carré de verdure. La lumière émanant du soleil traversait le verre et apportait une agréable chaleur dans l'air. J'étais assise sur une chaise noire depuis quelques minutes, attendant que la vieille propriétaire ne revienne de la cuisine où elle était partie en quête de thé.
Elle s'appelait Anna. Elle devait être âgée autour de soixante-dix ans, de la même hauteur que moi et assez fine et en forme pour son âge. Elle avait des cheveux mi-longs très raides et de teinte presque argentée et des yeux portant la couleur si particulière du jaune, telle de l'ambre. Elle avait été un peu dur lorsqu'elle nous avait ouvert la porte – et franchement, je ne lui en voulais pas, vu les circonstances – mais elle s'était ensuite adoucie et me regardait avec un doux sourire de grand-mère :
« Vous savez, avant que vous et votre frère n'arriviez chez moi, j'avais déjà entendu parler de vous, me dit-elle en versant du thé noir dans ma petite tasse de porcelaine. Tout le monde a entendu parler de vous. Mais vous ne pouvez pas imaginer ma surprise lorsque vous avez sorti ces quelques mots de latin, elle ajouta, avant de marquer une courte pause. De ce que j'avais cru comprendre, il ne restait pourtant plus rien de l'Unité fantôme, suite à l'attaque menée contre vous pendant J-0.
- En effet, soupirai-je avec tristesse, je fus la seule survivante. Le reste se fit juste... massacré. J'ai failli ne pas m'en sortir, mais je les vois encore, allongés dans des rivières de sang, agonisant, priant, sachant que c'était la fin. Il n'y a aucun mot pour décrire ce qu'on ressent lorsque l'on perd toutes les personnes auxquelles on tient d'un seul coup.
- Je comprends. Vous auriez été les premiers à vous dresser et empêcher ce coup d'état. Vous éliminer était une démarche purement stratégique.
- Et les agents qui opéraient à l'étranger, ce jour-là ? lui demandai-je. Avez-vous reçu nouvelles de leur part ? »
Une partie de moi espérait réellement que je n'étais pas la seule survivante, que je pouvais encore contacter des collègues à l'étranger et changer la donne. Je ressentais à ce moment une formidable poussée d'espoir traverser mon corps. Mes yeux s'illuminèrent d'une étincelle de foi et de conviction que Dieu était encore là, à veiller sur nous. Anna le vit et se leva de suite pour revenir, quelques secondes plus tard, tenant entre ses mains fripées un grand panneau de liège recouvert de morceaux de papier et de photos de dizaines de personnes.
Elle me le tendit silencieusement avec un regard empli de tristesse sur son visage. Je le pris et réalisai rapidement que les morceaux de papiers étaient des articles découpés de multiples journaux – étrangers pour la plupart – qui rapportaient des évènements qui ne semblaient rien avoir en commun, mais si elle me le montrait, c'est que ce n'était malheureusement pas le cas. On y décrivait l'explosion d'une voiture piégée à Rio de Janeiro, l'incendie d'un appartement dans Manhattan, le crash d'un avion à Hong Kong, le déraillement d'un train en Israël, des civils pris entre deux feux dans la guerre des cartels mexicains, une attaque terroriste à Kaboul... Et ces tragiques évènements étaient toujours accompagnés de l'annonce de plusieurs morts.
« Tous ces incidents, commença à expliquer Anna, ont pris place lors des jours qui suivirent J-0, tous visant indirectement des agents opérant à l'extérieur du territoire britannique. Et ça a été silence radio depuis... »
Elle marqua une pause et vit immédiatement l'air pâle et vide sur mon visage, mais elle continua, sachant que je devais savoir ce qui s'était passé, quelle que soit la douleur que cela m'apporterait :
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Vert, comme un uniforme militaire
ActionLorsque la Grande-Bretagne est ébranlée par un violent coup d'état en l'an 2030, tout est chamboulé pour tout le monde, y compris pour Tessa Kaufmann. Après avoir servi dans l'armée au cours de deux conflits à l'étranger, elle pensait en avoir fini...