J+66
Le retour d'Anna, portant avec elle la nouvelle tragique de la mort de sa sœur, ne m'empêcha cependant pas de continuer à sortir. Je suis consciente qu'il s'agissait d'une décision irresponsable, peut-être même égoïste, mais une fois qu'on a redécouvert ce qu'on peut qualifier de liberté, on ne peut pas juste l'abandonner. Je devais la garder.
Je me promenais une fois par jour, évitant évidemment les heures juste avant le couvre-feu de 21h. J'optais souvent pour les heures de pointe, où il y aurait une quantité maximale de personnes dans les rues. Je pouvais donc mieux brouiller mes pistes. Parce que je ne me voilais certainement pas la face en me disant que mes actions étaient sans risque. Elles l'étaient, et je prenais donc toutes les précautions nécessaires pour assurer ma sécurité.
J'évitais logiquement les endroits où l'on trouvait le plus de caméras, comme par exemple, Piccadilly Circus, Trafalgar Square ou Buckingham Palace. Et lorsque je faisais du jogging dans Hyde Park, je gardais toujours ma tête baissée, même si ma nouvelle couleur de cheveux m'avait bien aidée à maintenir un profil bas. Je n'oubliais néanmoins jamais ce qu'était la dure réalité : je n'avais pas arrêté d'être la fugitive la plus recherchée dans le pays, et n'importe quelle erreur de ma part pouvait non seulement me coûter ma vie et ma liberté, mais aussi celles de Jimmy, d'Anna et de toutes les autres personnes qui avaient tenté de m'aider lors de ma cavale.
Au début du mois de février, le nombre de contrôles, de rafles et d'arrestations avait terriblement augmenté. Quelques mois auparavant, Londres aurait pu être considéré par certains comme une ville dangereuse, à cause des criminels qui y vivaient. Mais aujourd'hui, les gens qui la rendait ainsi étaient, en fait, ceux qui étaient supposés de réaliser l'inverse. Je savais que la situation ne pouvait qu'empirer et portais donc toujours un pistolet, dissimulé sous mon pantalon, ainsi que quelques couteaux, cachés dans des étuis que j'avais cousus à l'intérieur de ma veste en cuir.
La hausse exponentielle des rafles signifiait aussi que je devais être de plus en plus témoin de scènes où des personnes étaient arbitrairement arrêtées et emportées. Je trouvais toujours une façon d'éviter les contrôles, mais je ne pourrai jamais oublier la peur et le désespoir qui remplissaient leurs yeux. Il n'y avait pas de mots pour décrire ce qui se passait. C'était juste à crever le cœur. Ceux qui étaient testés positifs luttaient et suppliaient les policiers de ne pas le faire, conscients que leur arrestation signait leurs arrêts de mort, alors que ceux testés négatifs, des pères, des mères, des fils, des filles, parfois même des grands-pères et des grands-mères, pleuraient avec impuissance pendant que leurs proches étaient embarqués dans des camions, tel du bétail emporté à l'abattoir.
On aurait pu imaginer que les gens seraient en colère se seraient donc battus, mais comme dans chaque régime autoritaire qui se respecte, la désobéissance était violemment réprimée. Le pays vivait sous la loi martiale depuis J-0, ce qui signifiait qu'un soldat avait dorénavant le droit, s'il le jugeait nécessaire de tuer. Et dans ce nouveau monde, corrompu non plus par l'argent mais par la haine, n'importe quel perturbateur était tué d'une balle dans la tête, ou pire, pendu avec les autres sur la Place du Parlement pour servir d'exemple.
Au début, je luttais contre moi-même pour me convaincre de ne pas aller aider ces gens. Je sais à quel point c'était égoïste : j'avais les capacités, la moralité et la conviction nécessaires pour agir, ce qui ne faisait que renforcer ma douleur. Parce que je savais au plus profond de moi-même que risquer ma vie pour ces personnes mettrait en péril ma situation et surtout celle de Jimmy. Je fis donc ce que mes parents, Shaw, Mme Paige et tous les autres individus qui avaient servis de référence morale au cours de mon existence, auraient sans aucun doute blâmé : je me suis éloignée. Je me suis éloignée en fermant mes yeux face à ces vaines luttes pour rester en vie, et en fermant mes oreilles aux pleurs de désespoir et les hurlements de douleur qui emplissaient les rues. Je me suis éloignée de tout cela, espérant qu'un jour, je m'y habituerais, mais je n'y arrivais pas. Personne ne pouvait.
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Vert, comme un uniforme militaire
ActionLorsque la Grande-Bretagne est ébranlée par un violent coup d'état en l'an 2030, tout est chamboulé pour tout le monde, y compris pour Tessa Kaufmann. Après avoir servi dans l'armée au cours de deux conflits à l'étranger, elle pensait en avoir fini...