Lucas
On a pris du retard. Le week-end s'est superbement bien passé, seulement, à deux kilomètres du point d'arrivée, Théo s'est foulée la cheville avec une racine donc je l'ai pris sur mon dos. Du coup, les derniers kilomètres ont été plus longs que les autres. Ainsi, nous sommes arrivés à la voiture avec une demi-heure de retard, ce qui n'est pas bon du tout puisque nous allons avoir ce même temps de décalage sur la route, sans parler de notre détour aux urgence, ce qui nous fera arriver au palace avec un temps de retard qui ne me plait absolument pas parce que j'ai promis à mon père de revenir pour quinze heures pour aider à la finalisation de l'organisation du gala de charité annuel prévu ce soir. Or, là, avec de la chance on sera au palace pour dix-neuf heures. Mon père va me tuer. Malgré ça, je ne dis rien à Théo et l'installe sur le siège passager avant de lancer dans la benne nos affaires. Avant de monter en voiture, j'envoies un texto à mon paternel pour le prévenir, même si cela ne va pas atténuer sa colère dès qu'il va me voir. Ensuite, je démarre en réfléchissant à un raccourci tandis que Théo pose sa main sur ma cuisse. Le problème, c'est que je ne connais pas bien la région.
― Théo, tu peux mettre le GPS sur le chemin le plus court, s'il te plaît ?
Autant ne pas se perdre je ne sais où à cause de la précipitation et du stress.
― Bien sûr. Ça ne va pas ?
Il s'exécute.
― Si, pourquoi ?
Il termine d'inscrire la ville de Cannes dans la destination, lance la navigation et répond :
― Tu serres le volant, t'es tendu, ta mâchoire est contractée et tu souhaites prendre une route plus rapide, ce qui présume que tu veux rattraper notre léger retard.
Je suis pris la main dans le sac. Autant lui dire la vérité.
― Chaque année, mon père organise une soirée au palace au profit d'une association qu'il choisit. Cette année, il veut récolter des fonds pour la recherche contre la mucoviscidose. Durant cette soirée, tous les clients s'habillent sur leur 31, il y a des invités de marque et tout ce beau peuple donnent des dons sous les regards ravis des responsables de l'asso qui sont également conviés. Bref, mon rôle c'est d'aider pour les finalisations de l'organisation. Les détails, en gros. Normalement, on devait revenir pour le milieu d'après-midi donc il n'avait pas de souci, mais là, avec ton accident et ses conséquences, on arrivera au palace en début de soirée...
― Je vois. Ecoute, cette soirée est beaucoup plus importante qu'un détour aux urgences qui va nous prendre au moins quatre heures si on a la chance avec nous. Donc va directement au palace, j'irai à l'hôpital avec mon chauffeur.
Alors là, certainement pas. Je l'accompagne, point barre.
―Non, non, réfuté-je immédiatement. L'hôpital se trouve sur le chemin donc c'est stupide de passer devant lui sans s'arrêter.
― T'es sûr ? Parce que vraiment, ça me dérangera pas...
― Oui, certain.
― N'empêche, on aurait pu aller randonner un autre week-end, un gala comme celui-là est très important et nécessaire.
Oui et non. Je vais essayer de lui expliquer ma pensée :
― Dans la forme, je suis d'accord avec toi. Mais dans le fond, je suis content de pouvoir raté les derniers préparatifs et possiblement le gala lui-même. Dans ce genre de soirée mondaine il n'y a que des hypocrites qui donnent de l'argent non pas parce qu'ils s'intéressent aux malades, mais pour prouver à leurs « amis » qu'ils ont un plus gros porte-monnaie qu'eux et pour payer moins d'impôts.
― Oui, j'imagine bien. Mais l'important c'est que l'asso repart avec un gros chèque.
― C'est vrai. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle j'y participe : pour voir les montants explosés au fil de la soirée. Chaque année je croise les doigts pour que le record soit battu, mais c'est jamais le cas.
― Et quel est donc le record ?
― 4 millions d'euros au profit des enfants atteints du cancer.
― C'est génial, Lucas !
Ah ça, c'est certain. Je me souviens encore des sourires et des étoiles dans les yeux des responsables de l'association qui ont récupéré le chèque ainsi que l'équipe médicale, car l'hôpital avait organisé une réception à notre honneur ce jour-là.
― Oui, cette année-là tout le monde était content.
― Ça fait combien d'années que vous organisez ça ?
― Depuis l'ouverture du palace, donc environ cent ans.
Presque un siècle de galas, des milliards d'euros de collectés depuis sa création et des clients toujours enthousiasmes à l'idée de contribuer à la recherche ou à d'autres œuvres caritatives. La clientèle a énormément de défauts, surtout dans le milieu du luxe, mais ils ont bien quelques qualités et leur charité dans ces moments-là en fait partie. Certes, je sais très bien qu'ils sont déduits des impôts en faisant des dons, mais ne ditons pas que c'est le geste qui est important ? Surtout que leur dons ne sont pas des petites sommes.
― Ah oui, effectivement, ça fait longtemps. Quel est ton plus beau souvenir à ce gala ?
Cette question est super facile. D'ailleurs, je vais en profiter pour me confier un peu à lui. À chaque fois, il me parle de lui, donc je ne vois pas pourquoi je n'en ferai pas autant de mon côté.
― L'année de mes quatorze ans. Huit mois avant le gala j'avais fait mon coming out à mes parents et mon père en a profité pour mettre à l'honneur l'asso « le refuge ». On a récolté plus de deux millions d'euros et on a battu un record depuis quarante ans. En plus, j'ai pu rencontrer différents personnalités, dont des footballeurs. J'étais aux anges.
Je lui fais un crin d'œil et remarque que ses yeux pétilles. Là, Théo est clairement enthousiaste, mais je ne vois pas pourquoi.
― Sérieux, il y aura des footballeurs à cette soirée ? demande-t-il en couinant légèrement.
Ah, je comprends mieux. Bon, je vais devoir briser ses espoirs. Je sais déjà que je déteste faire ça. C'est à cet instant que je me rends compte ô combien ce mec compte pour moi, car auparavant, je me fichais pas mal de faire redescendre d'un étage mes partenaires quand ceux-ci tentaient d'avoir des opportunités de dingue quand je les amenais à ce gala. À chaque fois, on s'engueulait avant de se séparer, mais bizarrement, je les voyais toujours à la soirée alors qu'ils m'avaient hurler à la figure qu'ils reprenaient l'avion. Et évidemment, quand je les interrogeais pour savoir pourquoi ils étaient encore là, ils avaient une réponse toute faite. C'est à ce moment-là que je découvrais qu'en réalité, ils ne m'aimaient pas vraiment. À chaque fois, mon cœur se déchirait et je perdais foi à la gente masculine, même si je rencontrais un nouveau mec quelques mois plus tard pour me faire oublier mon précédent échec sentimental. C'était un cercle vicieux auquel j'ai mis fin l'année dernière où j'ai décidé que je n'amènerai plus aucun de mes partenaires en vacances à Cannes. Mais heureusement cette année, étant célibataire depuis cinq mois, la question ne se posais pas. Dans un sens, c'est quand même incroyable que je rencontre Théo alors que je viens seul à Cannes pour la première fois depuis que j'ai l'âge d'avoir des petits amis.
― Désolé, cette année, il n'y aura que des acteurs, des politiques et des millionnaires en plus des clients. Ah, et, je le précise, ça sera que des acteurs français, donc ne t'enjaille pas en t'imaginant manger à côté de Orlando bloom ou Ian Somerhalder.
― D'accord, rit Théo.
***Il est dix-huit heures quand je rentre dans le hall du palace. Théo m'a ordonné de partir au palace suite aux nombreux appels de mon père. Au début, j'ai catégoriquement refusé – le laisser seul aux urgences, c'était inconcevable – puis il fallait se rendre à l'évidence : il n'était pas prêt de s'en aller vu le monde qui attendait dans la salle d'attente des urgences et je devais reprendre la route pour ne pas laisser le personnel avoir tout sur leurs épaules. J'ai donc accepté à contrecœur de l'abandonner.
Les intérieurs de l'établissement ont été magnifiquement décoré et des violons résonnent en fond sonore. Les clients ont déjà revêtu leur plus belle tenue. Je consulte ma montre. Il reste deux bonnes heures avant le début des festivités. Ne perdant plus de temps, je me dirige vers la salle de réception. Là-bas, mon père dirige les employés, tel un maître d'orchestre. Dans la pièce, une bonne cinquantaine de tables rondes ont été installée et dressées d'une nappe en soie blanche, d'une argenterie scintillante ainsi qu'un bouquet de fleurs fraîches sur le centre de la table. Les murs sont ornés de cadres où sont représentés des personnes atteinte de la maladie mise à l'honneur, les lustres au plafond sont allumés, un tapis rouge longe horizontalement la salle jusqu'à une estrade où des violonistes répètent, quelques cuisiniers placent des plateaux apéritifs sur une table cachée dans un coin tandis que des serveurs crées une pyramide avec des verres à champagne en cristaux à proximité de l'orchestre. Autour de moi, les employés s'activent pour terminer les derniers détails. Je remets mon attention à mon père, me fixant à quelques mètres de là, un masque d'impassibilité sur le visage. Ça n'augure rien de bon. Je prends une grande inspiration pour me donner du courage et marche dans sa direction.
― Papa, je suis là.
Mon père signe un papier, le redonne au salarié et se tourne vers moi. Son regard est dur et je déglutis, appréhendant la suite. Mon père ne se met presque jamais en colère, mais quand il est dans cet état-là, il ne vaut mieux pas être à proximité. Donc je me prépare mentalement à subir ses foudres.
― Je ne te dirais rien, car tu avais une excuse et que tu m'as prévenu, mais la prochaine fois ne pars plus vadrouiller quand tu n'es pas certain de rentrer dans les temps.
J'en reste stupéfait. Il est en colère contre moi, mais préfère me remonter les bretelles en restant calme et posé. Je suis passé dans la quatrième dimension ? Des extraterrestres ont fait des expériences sur lui ? Ou il a simplement reçu une excellente nouvelle de la banque ? Comme je ne me fais pas engueulé, je ne tente pas le diable et réponds :
― C'est promis, papa. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ?
Il me donne deux ou trois tâches à effectuer et je suis rassuré en découvrant qu'ils sont simples à réaliser. En une heure, j'ai terminé. Je remercie mon père et rejoint les coulisses où m'attendent les techniciens pour que nous installons le compteur de dons.
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Ticket-gagnant (BxB)
Genel KurguThéo a 25 ans et travaille comme employé polyvalent dans un supermarché. Il vit une existence paisible dans une petite ville du Pas-de-Calais entre sa famille, ses amis et sa routine. Quand une de ses collègues lui donne un ticket pour tenter de ga...