Théo
Je noue fébrilement ma cravate devant le miroir de la salle de bain, les doigts tremblant. Le père de Lucas nous a invité dans un restaurant chic et gastronomique de la ville. Je n'ai jamais été dans un tel établissement. Dans le palace, il y a trois restaurants : un buffet, un semi-gastronomique et un gastronomique. Je vais toujours au buffet tout simplement parce que c'est le moins guindé des trois, même s'il y a de la très bonne nourriture.
Angoissé à l'idée de pourrir la soirée en étant maladroit malgré moi, je me passe de l'eau sur le visage et inspire longuement. Je me répète que tout va bien se passer pour me donner du courage, mais je n'y crois pas vraiment. Le pire, c'est que je ne sais pas ce que je redoute le plus : passer une soirée dans un établissement où je ne connais pas les codes de bonne conduite ou discuter tranquillement avec Victor Beauvois en sachant que dans huit jours, on devra se dire adieu ? Encore une fois, je me dis que j'aurais peut-être dû refuser l'invitation. On est en train de faire l'autruche en faisant comme si tout était normal, en allant dîner pour que je rencontre Victor d'une manière plus intime alors qu'il ne deviendra jamais mon beau-père, même si je le voudrai autant que je voudrai rester auprès de Lucas.― T'es prêt ? me demande Lucas en apparaissant à la porte de la pièce. Ça va ?
― Ouais... c'est juste que je stress.
Lucas me prends dans ses bras.
― T'inquiètes pas. Mon père est un bon vivant qui ne fait pas de chichi quand il est dans son rôle de père et de toute façon, s'il faut que je sois plus gauche que toi pour que tu te détende, je le ferais avec grand plaisir.
Je rigole et lui fait un bisou d'esquimau. Ensuite, nous quittons la suite et allons attendre Victor dans le hall.
Au restaurant, je suis très mal à l'aise. Il y a plein de couverts que je ne connais pas l'utilité, la carte des plats a des noms trop bizarre avec des prix qui sont deux fois mon budget de course à la semaine. C'est quand même abusé de tels montants pour le peu qu'on va avoir dans l'assiette. Lucas doit ressentir ma gêne, car il prend ma main sous la table et me fait un clin d'œil. Je finis par choisir les trois plats sans viande ni poisson qui sont les moins chers, car ce n'est pas moi qui paye et que je refuse catégoriquement de profiter de la situation. Notre commande ne tarde pas et nous commençons à manger. C'est à ce moment-là que Victor décide de me poser des questions. Je ne suis pas surpris, d'une parce que ce n'est pas la première fois que je rencontre le père d'un amant et de deux, car c'est une réaction logique d'un parent.― Qu'avez-vous fait comme étude, Théo ?
― Littéraire, monsieur. J'ai un master des littératures et cultures européennes.
― Pourquoi avoir choisi cette voie ?
― J'aime lire depuis toujours et les différents formes de récits et de papiers à travers le temps me passionnent.
― Vous envisagez d'écrire un livre ?
Je me retiens de rire. Ce préjugé comme quoi les étudiants en littérature veulent écrire un bouquin a encore de beau jour devant lui.
―Non, monsieur. J'aime les livres, les mots et la lecture, mais je ne souhaite pas écrire un livre.
― D'accord. Et vous travaillez dans ce domaine ?
― Papa, j'pense que tu as eu assez de réponse, là, remarque Lucas.
― Ne t'inquiète pas, Lucas, ça me fait plaisir de répondre à ses interrogations. Non, je ne travaille pas dans ce domaine, malheureusement. Pourtant, j'ai essayé de trouver un boulot ayant un rapport avec mes études. Bref, je bosse dans une grande surface comme employé polyvalent.
Je l'observe afin de voir sa réaction. Il reste neutre, ne zieute même pas son fils, donc il doit s'en ficher de savoir que son fils côtoie un mec qui ne soit pas de son rang social. Ou alors, il est sacrément poli, ce qui est très probable. Mais mon instinct me dit que la première théorie est la bonne.
― Vous êtes courageux, Théo. Ce n'est pas tous les jeunes de votre âge qui se lèvent aux aurores pour partir travailler, au contraire.
Je suis assez d'accord avec lui, tout simplement parce que beaucoup de mes connaissances veulent un poste qui soit tranquille, sans prise de tête et surtout, bien payé. Je peux comprendre qu'après avoir passé des années sur les bancs d'une faculté ou deux ans en BTS, la plupart souhaite avoir une bonne situation, mais malheureusement, ils oublient que la conjoncture actuelle fait qu'on doit prendre ce qui vient sans se plaindre, car le chômage des 20-30 ans est en forte hausse. C'est ce que j'ai fait et en fin de compte, je suis plus ou moins content de mon métier actuel. J'ai des collègues sympas, un patron qui ne m'emmerde pas trop et j'habite à proximité du magasin. Franchement, j'aurais pu trouver pire que ça.
― Tu dis ça pour moi ? maugrée Lucas.
Victor acque un sourcil vers son fils.
― Pourquoi, tu te sens concerné, fiston ?
Le concerné grogne et reprend une bouchée de son plat en marmonnant. Je bois une gorgée de vin pour cacher mon amusement. D'un point de vue purement objectif, c'est vrai que Lucas est souvent en retard au matin.
― Pour reprendre le sujet de conversation, non, je ne me considère pas comme courageux, monsieur. J'avais simplement besoin d'argent, d'une sociabilité et d'une vie active.
― C'est compréhensif. Et vos parents, ils font quoi dans la vie ?
Je lui réponds et il s'avère que Victor a des connaissances en mécanique. Malheureusement, il finit par employer un vocabulaire très technique au point que je finis par devoir clore la conversation, car même si j'adore la mécanique, je ne connais que les bases. Il s'excuse de son engouement pour le sujet et lance un nouveau. La soirée se poursuit, les conversations se multiplient, nous rions aussi parfois et Victor me raconte même quelques anecdotes amusantes sur l'enfance de Lucas. Ce dernier se fait tout petit, car bien qu'elles sont marrantes, elles sont surtout relativement gênantes pour le concerné. Nous quittons l'établissement vers vingt-trois heures.
De retour dans ma chambre, je m'affale sur le lit, lessivé de ma journée et surtout de la soirée, même si elle s'est très bien déroulée. Lucas m'embrasse et me propose un bain. J'accepte volontiers.***
N/A : Eh voilà un nouveau chapitre. On se retrouve début juillet pour la suite.
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Ticket-gagnant (BxB)
Genel KurguThéo a 25 ans et travaille comme employé polyvalent dans un supermarché. Il vit une existence paisible dans une petite ville du Pas-de-Calais entre sa famille, ses amis et sa routine. Quand une de ses collègues lui donne un ticket pour tenter de ga...