Chapitre 17 - A Derek Morgan

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Morgan donna un coup de masse dans le mur qui s'écroula avec fracas. Du revers de la main il essuya la sueur qui perlait sur son front avant de balayer la poussière qui volait dans l'air. Il toussa un peu, reprit appui sur ses jambes et asséna un dernier coup de marteau dans les vestiges du mur. La paroi était désormais complètement abattue. Il retira ses lunettes de chantier ainsi que le foulard qui lui permettait de respirer malgré les particules de plâtre qui stagnaient dans l'air ambiant. La chaleur était étouffante. Il descendit l'escalier et saisit une des bouteilles d'eau qu'il avait préparée pour se déshydrater. Tandis qu'il buvait, il déambula dans la carcasse de la maison. Les travaux avançaient bien et il avait une petite idée de ce qu'il voulait faire de cette bâtisse. C'était la cinquième qu'il achetait pour la rénover.

Ces travaux immobiliers étaient son exutoire favori, il pouvait s'occuper les mains et s'approprier un espace sans avoir à penser au monde qui l'entourait. Faire travailler son corps sans mobiliser son esprit. L'exact opposé du comportement requis dans son travail. Le parquet craquait sous ses chaussures de chantier tandis qu'il parcourait les pièces. Il dessinait mentalement la couleur des murs, la disposition des meubles, la teinte du parquet, l'agencement du jardin, les haies... Chacune de ces maisons étaient destinées à devenir un endroit sûr, un refuge pour quelqu'un ou pour une famille, un lieu dans lequel des êtres humains pourraient s'épanouir et vivre. Il refondait ces maisons dans l'espoir qu'elles protègent quelques hommes et quelques femmes des atrocités du monde autour d'eux. Mais n'était-ce pas vain au final... Alicia avait été agressée chez elle, dans un lieu qui était censé la protéger et la rassurer. Et combien d'autres affaires avait-il eut sous les yeux dans lesquelles les victimes étaient attaquées à leur domicile, on leur enlevait leur enfant à quelques pas de leur lit avant de les assassiner, on les massacrait dans leur salon, on les étouffait dans leur sommeil... tant de clichés et de cadavres qui s'amoncelaient dans son esprit.

Il se dirigea vers une fenêtre, l'une des rares qui était encore visible dans les murs éventrés, et respira un moment l'air chaud qui venait de l'extérieur. Un courant d'air le rappela à la réalité. Il se détourna et fit encore quelque pas avant de s'adosser à un mur et de se laisser glisser contre lui pour s'asseoir. Il mit une main dans la poche arrière de son pantalon et en tira une enveloppe pliée en deux. Il la tint à deux mains avant de la retourner et l'ouvrir d'un geste résolu.

Derek,

C'est rare que je m'adresse à toi par ton prénom, tu as remarqué ? Mettre un prénom sur quelqu'un est très dur pour moi. C'est forcément faire en sorte que cette personne devienne plus proche nous. Je te connais depuis mon arrivée dans le département et je pense que j'ai eu peur de te laisser entrer dans ma vie... maintenant tu sais pourquoi. A la longue, tu aurais senti en moi la peur qui t'avait toi-même habité. C'est malheureux mais les enfants ayant connu ces expériences traumatisantes sentent quand un adulte l'a également vécu. C'est une des raisons qui m'a fait comprendre ton passé douloureux avec Bufford... et c'est en général ce qui m'a fait exceller dans mon travail auprès des enfants. Tu imagines ça ? Des dizaines de flics et de procureurs qui te félicitent parce que tu es la seule à avoir compris ce qu'avait subi un enfant et tout ça parce que toi-même tu sais ce que c'est. On te félicite d'avoir souffert pendant des années et d'ensuite mettre ta douleur au service des autres. Dis comme ça c'est terrifiant.

Avec un peu de chances, je pense que j'ai réussi à me détacher de ça. Mais je ne suis pas là pour parler de moi, je pense que vous avez suffisamment entendu parler de mon histoire ces dernières heures. Et en même temps que te dire de plus que tu ne sais pas déjà. Tu es un homme admirable Derek et tu es certainement un de ceux que j'ai le plus vu évoluer au cours de ces années de travail ensemble. Tu as grandi, muri, été promu, tu t'es ouvert à nous et tu nous as montré tout ton respect et ta confiance. Disons que, de mon point de vue, ta présence s'est souvent apparentée à celle d'un grand frère bienveillant, qui veillait sur moi (et sur mon sommeil dans le jet) quelles que soient les circonstances.

J'espère sincèrement que ma porte n'a pas subi un de tes légendaires coups de pieds sinon je ne donne pas cher de ses gonds. Cependant, au-delà du caractère humoristiques de tes entrées fracassantes dans les appartements des suspects, je sais que ce coup de pied est également un moyen pour toi de ne pas perdre de temps et d'aller aussi vite que possible pour arrêter les tueurs et sauver des vies. Ta dévotion envers les victimes a toujours été touchante, tu as toujours su trouver les bons mots, avoir la bonne petite attention envers celles et ceux qui souffraient.

Tu es une personne magnifique Derek, et je ne parle pas uniquement de ton physique d'athlète. Tu es d'une sympathie et d'un naturel qui suscite la joie et les sourires. Je t'en prie, ne te départis jamais de tes pointes d'humour et de ton investissement émotionnel envers les autres. Tu es un grand homme et un grand profiler.

Prend soin de toi Derek,

Alicia.

PS : n'oublie pas que je t'ai battu une fois au corps à corps donc ne prend pas la grosse tête. Je t'aime fort !

Morgan laissa tomber sa tête contre son torse. Elle avait tort, elle ne cessait de faire référence à lui et le fait qu'il la protégeait. Mais qui avait réellement protégé qui tout au long de ces années ? C'était elle qui avait conservé son secret, qui avait soutenu son regard, qui avait porté ses angoisses. Et aujourd'hui c'était elle qui était partie à l'hôpital et qui n'en ressortirait peut-être jamais. Alicia était prisonnière de son pire cauchemar et pourtant elle avait continué de croire en lui, de le remercier, et même de faire quelques traits d'humour.

Tout avait été trop vite pour lui. Ils l'avaient retrouvée en piteux état, un mois après elle revenait comme si de rien n'était et à peine vingt minutes plus tard elle braquait une arme sur eux et hurlait à la mort, captive de son propre esprit et dissociée de la réalité. Morgan savait que ce genre de comportements était la conséquence directe et normale d'un traumatisme d'une telle ampleur mais il ne pouvait s'y résoudre... pourquoi c'était aussi facile de rationaliser le comportement humain quand il s'agissait de quelqu'un qu'il ne connaissait pas ? La réponse était dans sa question. Malgré toutes ces heures passées à traquer et arrêter des criminels en déchiffrant leur comportement, en encaissant celui des victimes, il ne pouvait être rationnel face à celui d'une personne qui lui était chère. En quelques jours à peine, il avait perdu une collègue, une amie, une sœur.

Il releva la tête et balaya du regard l'espace qui s'offrait à lui. Les murs étaient dans un piteux état, il ne savait même pas comment certains pouvaient encore tenir debout. Il se redressa et rangea la lettre avant de se saisir de sa massue. Dans un nouvel élan rageur il abattit le portant qui était devant lui. 

Profileuse [Esprits Criminels]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant