Emily était allongée dans sa baignoire, la tête penchée en arrière et posée sur le rebord. Des échos de la musique jazz qu'elle écoutait se répercutaient dans son couloir et sur les carreaux de faïence qui paraient les murs de sa salle de bain. L'odeur sucrée du savon emplissait ses narines pendant que l'eau tiédissait autour de son corps. Cela faisait bientôt 4h qu'elle s'était immergée dans l'eau pour essayer de détendre ses muscles et son esprit. Cependant, si effectivement son corps semblait être plus relaxé, son cerveau refusait de la laisser tranquille et, comme le reste de ses collègues, elle ressassait malgré elle le cours des récents évènements. Elle finit par se résigner et sortit de son bain, s'emmitoufla dans une serviette avant d'enfiler un peignoir. Le tissu était doux sur sa peau.
Elle descendit l'escalier qui menait à la pièce principale de l'appartement qu'elle avait loué dans l'urgence, pressée par la traque que menait Ian Doyle. Ces dernières semaines, l'étau se resserrait et elle se sentait plus en danger que jamais. Elle fut accueillie par le miaulement désespéré de Sergio, son chat, qui vint se frotter à ses chevilles pour réclamer des caresses. Elle passa machinalement sa main dans son poil noir puis se dirigea vers la cuisine. Elle sortit une bouteille de vin et se servit un verre. Elle se posa devant sa fenêtre, regardant la pluie ruisseler sur les carreaux. La nuit était noire.
Son regard coula sur son sac à main qui était posé sur son plan de travail. Elle s'humecta les lèvres et s'en empara avant de se saisir de la lettre qu'elle avait mise dans sa poche intérieure. Elle hésitait mais au fond d'elle-même elle savait qu'elle avait envie de l'ouvrir. Le doute qu'elle s'imposait provenait principalement de sa peur de se laisser aller, sa peur de laisser ses émotions l'emporter et de ne plus être capable de contrôler la situation. Sergio bondit sur le plan de travail et se roula sur le granit froid, sous les yeux de sa maîtresse, avant de simplement s'allonger et poser sa patte sur le bras d'Emily. Malgré les petites griffes qui lui piquaient la peau, Emily se sentit rassurée à ce contact et ouvrit l'enveloppe, décidée à l'affronter, à s'affronter elle.
Emily,
Je donnerais n'importe quoi pour pouvoir être à vos côtés en ce moment même... je me sens atrocement seule et tu connais mieux que personne cette peur viscérale d'être seule jusqu'à ce que tout se termine. Je n'ai jamais eu envie de mener une vie dans laquelle je dois toujours surveiller les moindres de mes faits et gestes, une vie dans laquelle je devrais sans cesse regarder au-dessus de mon épaule pour voir si je suis suivie ou si on s'en prend à l'un d'entre vous. J'avais réussi à me constituer une vie que je pensais tranquille et équilibrée et je ne veux pas que vous payiez le prix de ma négligence. Je suis désolée Emily, désolée de devoir vous infliger cette affaire et de vous obliger à me regarder sur ce tableau de victimologie.
Emily interrompit sa lecture, prise d'une soudaine crise d'angoisse. Son souffle était court et sa vision se brouillait dangereusement. Elle se laissa tomber sur une chaise et se massa les tempes en se concentrant sur le mouvement de sa cage thoracique. Sergio se releva et vint se frotter à ses avant-bras en ronronnant. Au bout de plusieurs longues minutes, Emily sentit la pression s'alléger et elle arrêta de trembler. Elle inspira longuement puis repris sa lecture.
Emily tu as été l'une de mes plus belles rencontres ces dernières années, faisant office de grande sœur pour moi. Tu as été protectrice, parfois même maternelle, bienveillante et amicale avec moi. Je garde un souvenir ému de nos soirées ou même de ces rendez-vous improvisés à 4h du matin après une affaire, dans un restaurant bon marché, histoire de se vider la tête. Merci pour ces fous-rires qui m'auront énormément aidé à prendre du recul et donner un peu de sens à ce métier.
Prend soin de toi Emily, je ne sais pas trop ce qu'il se passe dans ta vie, tu es assez secrète à ce sujet, mais je vois dans tes yeux qu'il se passe des choses. Si tu n'es pas prête à les partager avec d'autres ne le fais pas mais, s'il te plaît, ne fais pas la même erreur que moi. Ne te laisse pas aveugler par l'illusion que tout va bien ou que tu pourras tout gérer seule. C'est normal de ne pas vouloir impliquer ses amis ou ses collègues mais parfois il faut admettre qu'on ne peut pas tout faire par nous-même. Regarde où j'en suis maintenant, je ne sais même pas si j'aurais l'occasion de vous revoir vivante ou non, tout ça parce que j'ai soigneusement évité de vous parler de mon enfance et de mes problèmes pendant toutes ces années. S'il te plaît Emily, ne te laisse pas submerger toi aussi.
Tu es une femme magnifique Emily et je suis certaine que tu serais une bonne mère pour un enfant. On en a déjà parlé je sais, mais je maintiens ce que j'ai dit. Tu as le droit au bonheur. Alors réfléchis-y, je sais que tu prendras les bonnes décisions pour toi.
Sois forte Emily et dis au revoir à Sergio pour moi,
Alicia.
Elle reposa lentement la lettre sur son plan de travail et vida son verre de vin d'une traite. Son chat miaula faiblement, elle le caressa machinalement, le regard perdu dans le vide. Son lecteur de musique avait arrêté de diffuser du jazz... c'était à présent une longue complainte qui s'élevait dans son appartement, une longue complainte sur le deuil et le besoin d'accepter la douleur et comprendre que tout va bien car personne n'est jamais seul. Elle renifla et se resservit un verre. La nuit serait longue.
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Profileuse [Esprits Criminels]
FanficAlicia Davis est la plus jeune membre de l'équipe du Département des Sciences du Comportement. Quand elle disparaît mystérieusement un matin, l'alerte est donnée et toute l'équipe est mobilisée pour retrouver la jeune femme. La disparition semble li...