Chapitre I

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D'abord le froid.

Le corps, les poignets, les chevilles, l'épiderme tout entier hérissé par cette sensation glaciale. Elle courait sur lui, le parcourait, le brûlait presque. Il gisait sur le dos, contre une surface plate et dure. Il tenta de bouger, mais ses muscles raidis refusèrent d'obéir. L'obscurité environnante l'écrasait – il y en avait trop, partout autour de lui. Du noir, rien que du noir !

Une grande bouffée d'oxygène pénétra douloureusement dans ses poumons, soulevant son thorax glacé. Il toussa et cracha une substance poisseuse ; elle coula le long de son cou, désagréable, humide, tiède.

Il réussit enfin à bouger. Il commença à s'agiter ; il était empêtré dans quelque chose. A force de paniquer, il mit la main sur un petit objet : le sommet d'une fermeture Eclair. On l'avait enfermé dans un sac – un grand sac sombre. Il l'ouvrit d'un coup sec. Ses yeux reçurent le flot de lumière du seul néon qui éclairait la pièce. Ses paupières papillonnèrent, le temps de s'adapter à une telle clarté.

Dans un effort surhumain, il se redressa. Ses membres retrouvaient peu à peu une certaine mobilité, comme s'il se réveillait d'une longue nuit durant laquelle il aurait été engourdi par le sommeil.

Il se trouvait dans une vaste pièce carrée. Les murs étaient tapissés de portes, semblables à celles des coffres dans une banque. Une banque ? Non, il faisait bien trop froid pour cela. A moins que ce soit là ce qu'on entendait par « mettre son argent au frais »... Peu probable, malgré tout.

Son corps reposait sur une table chromée. Voilà d'où lui venait cette sensation glaciale – ce satané métal !

Sa peau livide reflétait la lumière blafarde. Il paraissait si pâle, vu sous cet angle. Ses mains remontèrent sur ses avant-bras, gondolés par des muscles et recouverts de fins poils sombres. Ses cuisses leur ressemblaient, en plus épaisses. Il s'étira jusqu'à atteindre ses pieds ; son dos opposa d'abord une résistance avant de céder. Alors il put toucher ses orteils gelés – si froids qu'il craignit de les briser au moindre choc. Ses doigts ne valaient pas mieux, même si l'impression s'estompait à mesure qu'il bougeait.

Peu à peu, il reprenait possession de son corps. Ce corps nu, allongé sur une table en métal...

Pourquoi ? Que faisait-il là ? Quel sens donner à tout cela ?

Tandis qu'il se levait, une substance tiède coula sur son torse. La conséquence de ce qu'il avait craché peu de temps auparavant, sans aucun doute. Le liquide dégoulinait sur sa poitrine, et cascadait entre les crevasses de ses abdominaux, avant de venir loger quelques gouttes vermeilles dans le creux de son nombril. Par curiosité, il y trempa la pulpe d'un doigt et en examina ensuite la teinte rouge. Combien de temps était-ce resté dans sa gorge ?

Il saisit un tissu laissé sur une table non loin, déjà taché de sang, afin d'essuyer le sien. En le reposant, il croisa son reflet dans le métal. Ce visage pâle – beaucoup trop pâle ! Ces cheveux bruns coupés courts, encore coiffés grâce à un gel efficace ; ces yeux verts, qui juraient cruellement avec ce teint blanchâtre. Cet aspect le constituait, le définissait, lui... Pourtant, il ne se reconnaissait pas.

Il possédait un visage fin, saillant, imberbe, encore plus froid et inexpressif que le lieu dans lequel il se trouvait. Une vision à s'en terrifier soi-même, presque inhumaine.

C'était lui. Une petite voix le soufflait à travers les brumes de son esprit. Il ne savait pas comment ni pourquoi, mais c'était lui, il aurait pu le jurer. Lui ! Mais qui lui ? Qui était-ce, ce lui, au juste ?

Son cœur engourdi s'emballa et tambourina un peu plus fort dans sa poitrine figée, tandis qu'une vérité terrifiante incisait son cerveau pour s'y frayer un chemin : il ignorait qui il était.

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