Evolution

Chapitre XXII

Contre toute attente, le Cardinal Claudius ne rendit pas visite à Seth. Même s'il s'interrogeait sur la manière dont son prisonnier était parvenu à quitter sa chambre, il refusait de se rabaisser à le lui demander en face. Il se contenta du témoignage incohérent du Gardien, retrouvé inconscient dans la pièce qu'il était censée garder.

Par précaution, on coupa l'eau, l'électricité et le chauffage dans la chambre de Seth. Plongé dans le noir, ce dernier s'assit sur son lit et attendit avec patience que l'on daigne se présenter devant lui. Personne ne vint, pas même pour le nourrir. Il comprit alors que l'on comptait le laisser croupir dans sa geôle. Jusqu'à quand ? se demanda-t-il. Que comptez-vous faire, votre Eminence ? M'enfermer ici pour toujours ? A ce jeu, je gagnerai tôt ou tard, car contrairement à vous, j'ai l'éternité dans mon camp...

Seth s'allongea. Les bras derrières la tête, il s'abandonna à un demi-sommeil. Il décidait de s'accorder quelques heures de répit après les récents évènements. La peur qu'il avait ressentie devant cette foule enragée ne représentait rien en comparaison de la douleur qu'il éprouvait en songeant à Catherine. Il lui fallait accepter l'idée qu'il ne pourrait peut-être pas la sauver, car aider une personne malgré elle relevait souvent de l'impossible. Si l'ancienne religieuse ne délaissait pas ses croyances de son plein gré, le jeune homme ne parviendrait pas à lui éviter un horrible sort. Cela le peinait au plus haut point. Elle méritait de vivre heureuse – sans compter qu'il lui vouait une affection particulière.

Attristé, il se recentra néanmoins sur son objectif premier : quitter le complexe divin. Pour cela, il bénéficiait désormais d'une alliée – du moins il l'espérait. S'il ne savait que peu de choses au sujet de cette mystérieuse femme qui marchait sans relâche dans ses pas, il se souvenait de son soutien face au pyromane, sur le campus de Seattle. « Ta protection est la prérogative fondamentale de toutes mes décisions, Seth. » Voilà ce qu'elle lui avait dit devant les ruines en flammes de l'université. Même s'il ignorait encore pourquoi et comment, l'agent Novak portait un regard informé sur la situation – bien plus informé que lui, ce qui faisait d'elle, à terme, un moyen d'obtenir des réponses. A l'heure actuelle, il s'agissait sûrement de l'option la moins risquée si le jeune homme souhaitait s'enfuir, pour ensuite découvrir enfin la vérité sur cet univers inquiétant dans lequel il évoluait depuis son réveil.

Seth s'efforça donc au calme. Dans l'obscurité à laquelle on le condamnait, il s'enfonça dans son esprit jusqu'à retrouver le chemin familier – la route glissante qui le conduisait en direction de cet horizon étranger. Au deuxième essai, il atteignit plus aisément le point de tension. Le froid l'engourdit, il se raidit et laissa le pouvoir de la chevalière l'envahir.

Son esprit quitta son corps. Contrairement à son expérience précédente, de nombreuses vagues psychiques agitaient la dimension astrale, y provoquant des remous et des ondulations inquiétantes. Seth craignit d'abord le retour du mystérieux cri écarlate, avant de comprendre qu'il ne s'agissait que de l'escadron posté en faction devant la porte de sa chambre. Les cinq ou six Gardiens rigolaient ensemble, mais le son de leurs voix se perdait dans l'espace feutré, opaque. Seuls leurs esprits bruyants secouaient grossièrement le tissu mental dans lequel évoluait l'immortel.

Il les dépassa et s'éloigna à travers les murs du complexe divin, tel un spectre que rien n'arrête. Il se heurta cependant bien vite à ses propres limites ; à mesure qu'il progressait, la tension entre son corps et son esprit se renforçait, comme un élastique trop étiré. Le monde astral s'épaississait, l'obscurité gagnait en intensité ; plus l'écart entre la projection et sa source se creusait, moins Seth percevait distinctement la réalité alentour. Arrivé à l'extérieur du complexe, le jeune homme présageait déjà les douleurs que lui infligeraient ses muscles et ses organes en guise de représailles.