A l'aube, quand il rouvrit les yeux, Seth étreignait encore les draps froissés. Seul dans le lit, il tâta à la recherche de ce corps chaud qui lui avait tenu compagnie toute la nuit – la présence apaisante, le souffle régulier de la Sainte, capable de repousser les pires cauchemars. Les premiers rayons du soleil, jaunes et miellés, entraient par le hublot du module.
Le jeune homme se leva, s'ajusta devant le miroir et, la tête encore pleine des conversations de la veille, il sortit dans l'air matinal. Il émanait du sol cette odeur caractéristique que laisse la pluie après son passage. La terre, refroidie depuis quelques jours par l'approche de l'hiver, se transformait à présent en éponge sous les chaussures des cultivateurs. La journée débutait tôt dans la Mâchoire, et presque tous ses habitants bêchaient déjà les champs avec un amour du labeur qui forçait l'admiration. Sans craindre la boue, ils s'aventuraient dans les cercles végétaux avec leurs vêtements blancs et leurs outils des siècles passés.
Alors que Seth s'apprêtait à les rejoindre, cherchant déjà Catherine du regard, les agriculteurs s'immobilisèrent soudain. Au loin, plusieurs silhouettes s'approchaient. Des hommes imposants, couverts de plaques souples mais résistantes. Des soldats – les Gardiens, comme les appelaient les ouailles du Cardinal. Aux yeux du profane, ils possédaient l'attirail des parfaits militaires. Rigoureux, disciplinés, peu loquaces, ils donnaient l'impression de sortir d'un même moule qui les aurait fabriqués sur-mesure. Ils portaient tous une matraque, et celui qui dirigeait l'escadron – ils se déplaçaient généralement en essaims de quatre ou cinq – se voyait confier une arme à feu. Il l'exhibait d'ailleurs avec une fierté non-dissimulée, preuve que la vanité passait n'importe quel mur et pénétrait les enceintes les plus consacrées.
Une quinzaine de Gardiens s'avançaient sur les sentiers glissants. Ils marchaient au pas cadencé. Seth crut d'abord à un exercice, avant de les voir se disperser, puis se rapprocher en cercle autour de leur cible – lui.
L'un des gradés l'interpella.
– Monsieur, au nom de Son Eminence le Cardinal Huxley Claudius, recteur du complexe divin, nous sommes chargés de vous escorter jusque dans des locaux sécurisés, où vous serez maintenus sous bonne garde... Vous ne pouvez pas rester ici, Monsieur, explicita le Gardien devant le silence troublant de son interlocuteur.
– Pourquoi donc ? demanda Seth d'un ton distant, presque indifférent. Aurais-je fait quelque chose de mal ? J'aide ces gens...
– Ces gens n'ont pas besoin d'aide, Monsieur.
– Je me sens bien parmi eux, et l'un des souhaits du Cardinal me concernant est justement que je...
– Les souhaits de Son Eminence ont changé, Monsieur. Les ordres sont clairs : vous mettre à l'isolement jusqu'à nouvel ordre. C'est une mesure de sécurité, Monsieur.
Aux alentours, les paysans se réunissaient en foule compacte pour assister à cette joute verbale entre deux hommes aussi imposants l'un que l'autre. A armes égales, ils auraient parié sur la victoire de Seth ; mais devant l'équipement redoutable du gradé, personne ne s'imaginait miser un penny sur le jeune homme, à une exception près. Catherine observait la scène, cachée au milieu des siens ; elle ne craignait pas un affrontement durant lequel Seth serait blessé, loin de là, mais plutôt les conséquences qui s'ensuivraient. Les prunelles vertes la cherchèrent d'ailleurs et, quand elles trouvèrent son regard délicat, elles y lurent le sage conseil de la résignation.
Seth hocha la tête en signe de soumission. En un rien de temps, il se retrouva encadré par une milice complète. Il traversa les champs, la tête haute, en s'efforçant d'ignorer les murmures intrigués. Les Gardiens ne descendaient jamais dans la Mâchoire. A quoi bon ? Ils garantissaient un ordre qui s'établissait de lui-même, par la simple existence des règles religieuses – un ordre parfait, que l'on ne rompait pas sans extrême nécessité.
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Evolution
FantascienzaLe jour où Seth Larkin se réveille dans la morgue de Seattle, amnésique et fraîchement ressuscité, son univers bascule. Incapable de comprendre ses origines, ni les motifs des étranges capacités qu'il développe, le voilà poursuivit par des individus...