Chapitre XIV

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Lorsque Seth ouvrit les yeux, une étrange sensation flottait encore à la lisière de sa conscience – une panique qui emballait son cœur sans qu'il ne puisse dire précisément pourquoi. L'angoisse le tétanisait. Il contracta ses muscles et retint sa respiration, l'espace d'une seconde, puis se détendit.

La fraîcheur des draps doux contre sa peau l'apaisait. Sa tête se noyait littéralement dans un océan de plumes duveteuses – un oreiller comme il n'en avait jamais connu depuis sa résurrection. Son corps s'enfonçait dans un matelas moelleux.

Le jeune homme se redressa difficilement dans son lit. Il ne pensait pas qu'un macchabée puisse être aussi courbaturé. Il se leva et s'étira en examinant la pièce. Sobre, immaculée, elle ressemblait à ces chambres d'hôtel luxueuses, impersonnelles au possible. Un grand lit, plusieurs meubles modernes, une horloge, quelques livres disposés sur une étagère – des classiques, rien de risqué. En revanche, aucun appareil électronique. Le réveil à aiguilles fonctionnait grâce à un remontoir ; impossible donc de savoir avec certitude s'il indiquait la bonne heure.

La lumière pénétrait à flot par une immense fenêtre ; elle occupait pratiquement tout un pan de la pièce et ouvrait sur un vaste panorama montagneux. A cette période de l'année, la neige commençait déjà à affleurer sur les plus hauts sommets. Le vent soufflait sur les grands pins, et leurs branches se balançaient en douceur, dans un léger bruissement apaisant. Ce spectacle charma Seth et acheva de rassurer son cœur affolé. Il se posa devant ce décor et tenta de réunir ses esprits.

Il se rappelait les flammes et la violence, sur le campus de Seattle. Sa peur, puis ce déchaînement de haine contre le pyromane – la force qui avait soudain envahi sa projection. Une telle puissance dans ses poings, dans ce corps astral. Il ne s'imaginait pas capable d'une telle chose. Il se serait connu avant son décès, il aurait même pu dire que cela ne lui ressemblait pas... Mais lorsqu'aucun souvenir ne persiste, peut-on encore dire que l'on est quelqu'un ? De son passé, il n'héritait que le nom de Seth Larkin. Pour le reste, tout était à écrire.

Sa soif de vérité lui revint en mémoire. Kevin et Mary, morts sans confesser leurs péchés, ne pourraient plus lui apporter la moindre réponse. Seth eut une triste pensée pour leurs cadavres carbonisés, ainsi que pour celui du pauvre inspecteur, involontairement mêlé à toute cette histoire par sa faute et celle de...

La femme ! Il se souvenait ! Il parlait à la femme lorsque... Une violente douleur dans sa nuque - sa vraie nuque. Il s'était dissimulé derrière l'université, au milieu d'un taillis de ronces, dans l'espoir que l'on ne retrouverait pas son corps. Il ne devait pas s'absenter longtemps, seulement quelques minutes, pour parler à l'espionne, comprendre ce qu'elle lui voulait et découvrir si elle possédait des informations au sujet de sa mort.

A présent il se retrouvait là, quelque part au milieu des montagnes – quelles montagnes ? Les montagnes Olympiques qui bordaient Seattle ? Ou bien d'autres montagnes, ailleurs dans le monde, loin d'un chez-lui qui ne correspondait plus à son identité ?

On l'avait enlevé, cela ne faisait aucun doute. A cette fin, on lui avait administré un produit assez puissant pour assommer un mort, et brouiller la connexion entre son corps et sa projection, d'où les douleurs dans ses muscles. Seth les étira derechef, fit craquer ses articulations et pratiqua quelques exercices afin de retrouver la pleine possession de ses moyens. Combien de temps était-il resté dans ce lit, sans bouger ? Il n'aurait su le dire.

Tout en repensant aux récents évènements, il s'aperçut du vide qui régnait dans la pièce. Aucun signe de son vieux sweatshirt, de ses tennis crasseuses, de son jean élimé, ou même du sac à dos qu'il traînait avec lui depuis sa fuite de la morgue. L'environnement aseptique et neutre duquel il se sentit soudain prisonnier lui hérissa l'échine. La peur latente, à la frontière de son subconscient, revint à l'assaut ; il oubliait un détail – un élément important, peut-être.

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