Les sirènes résonnaient. Les gyrophares projetaient sur les lieux des éclairs bleus et rouges. Les lances à incendie crachaient en flux continu des litres d'eau, dans l'espoir d'éteindre le brasier qui consumait encore les ruines du bâtiment de médecine. Le soleil qui dominait cette journée moins d'une heure auparavant n'était plus qu'un lointain souvenir. Une épaisse fumée noire s'élevait vers le ciel et assombrissait une partie de la ville. Des groupes d'étudiants curieux passaient par là, l'air de rien, pour apercevoir le désastre – difficile de le rater, même de loin.
Les pompiers prenaient encore en charge plusieurs jeunes, ainsi que quelques enseignants trop proches du drame, avant que la police ne vienne les interroger. On agréait déjà l'histoire d'une conduite de gaz, en dépit des témoignages qui parlaient de coup de feu. Cet élément là était mis sur le compte de la panique ; on préférait penser que, l'alarme incendie s'étant déclenchée la première, il s'agissait davantage d'un accident – une enquête terroriste n'aboutirait de toute manière pas, puisque les seules preuves potables brûlaient à quelques mètres de là. Mieux valait donc ne pas laisser aux gens une occasion de se tourner vers l'Etat pour se plaindre d'un quelconque manque de sécurité dans un établissement d'enseignement public.
Le gouverneur de l'Etat de Washington étouffera l'affaire, et c'est tant mieux, songea Emily Novak en jetant un œil en direction des journalistes, derrière les bandes de sécurité. Elle s'assura discrètement qu'aucun ne puisse la filmer ni remarquer sa présence. Un pompier serviable vint lui retirer son masque à oxygène, examiner sa tension, puis ses pupilles, et enfin lui confirmer qu'elle pouvait procéder à sa déposition auprès des forces de l'ordre. Charmante, elle adressa au soldat du feu un sourire à tomber, puis acquiesça comme une gentille fille traumatisée, mais heureuse qu'on s'occupe d'elle. Elle s'éloigna et, dès qu'elle fut certaine qu'on ne lui prêtait aucune attention, elle s'éclipsa en direction d'un bosquet, au-delà du périmètre d'intervention. Disparaître dans le parc du campus paraissait la meilleure chose à faire, désormais, pour se lancer de nouveau à la recherche de Seth Larkin.
Il venait de la sauver, l'espionne en était parfaitement consciente. Un juste retour des choses, pensa-t-elle, si on songe que je lui ai d'abord évité d'être enlevé par un malade de la flammèche. De celui-ci non plus d'ailleurs, aucun signe de vie – enfin, façon de parler. Inutile de consulter les caméras alentour, puisqu'elles n'auraient pas imprimé l'image de Seth. Personne n'avait remarqué sa sortie des lieux – s'il en était sorti. L'espionne priait pour que son acte héroïque ne se soit pas soldé par un échec. S'il se trouvait désormais entre les mains incandescentes d'un fou furieux, la difficulté pour le récupérer gagnait plusieurs niveaux d'un seul coup. Or, il y avait de fortes probabilités pour que cette option se confirme, considérant les chances qu'un gamin inexpérimenté s'en sorte face à un homme dont la puissance égalait sa folie.
On imagine donc la surprise de l'agent Novak lorsqu'une voix l'interpella. Derrière elle, adossé à un arbre, Seth observait les restes fumants de la faculté de médecine. Le regard dans le vague, le visage grave, il attendit que son interlocutrice soit suffisamment proche pour murmurer un « merci », auquel elle répondit un « de rien » formel. Le silence s'installa. Chacun attendait que l'autre parle – chacun avait ses propres questions à poser, mais n'osait pas rompre cet instant de morne recueillement. Seth parla enfin, conscient que rester statique trop longtemps revenait à s'exposer ; les minutes incarnaient pour lui un compte à rebours durant lequel un cinglé progressait sûrement dans sa direction.
– Je me doutais que vous n'iriez pas voir la police, dit-il, amusé. D'ailleurs, je suis désolé pour votre ami, l'inspecteur... Il ne méritait pas de finir ainsi.
– Ce n'était pas mon ami, loin de là, rétorqua l'espionne. Je l'ai utilisé, je l'avoue. Je suis en partie responsable de son sort... Mais peu importe, des hommes meurent tous les jours, cela ne change pas la face du monde. Il ne représentait rien d'autre qu'un instrument pour parvenir à t'atteindre.

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Evolution
Ciencia FicciónLe jour où Seth Larkin se réveille dans la morgue de Seattle, amnésique et fraîchement ressuscité, son univers bascule. Incapable de comprendre ses origines, ni les motifs des étranges capacités qu'il développe, le voilà poursuivit par des individus...