Chapitre VIII

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Seth poussait sur ses jambes à s'en détruire les muscles. Il filait à travers Seattle inondée.

Quiconque l'aurait croisé se serait demandé s'il n'avait pas le diable aux trousses. Cela n'avait rien d'invraisemblable, après la mésaventure qu'il venait de vivre. Satan sorti de l'Enfer pour l'y ramener, ou même un simple sous-fifre - un démon de bas étages, guidé par des pulsions meurtrières, au point qu'il réduisait en cendres ceux qui croisaient son chemin. En tout cas, nul doute que ce pyromane anonyme continuait de le traquer.

Seth traversa de grandes avenues parsemées de flaques. A d'autres moments, il détrempa ses tennis dans l'eau boueuse des faubourgs. Il évita de justesse le monorail en traversant les voies, mais cela ne l'incita pas à arrêter sa course folle.

Il courait encore quand la pluie s'apaisa. Le silence s'installa dans la ville. Libérée de ce déluge biblique, elle prit l'apparence d'une coquille creuse, une frêle embarcation à bord de laquelle les marins restaient introuvables. Une ville vide - un spectacle si rare, improbable, qui véhiculait même un je-ne-sais quoi d'inquiétant.

S'il avait accepté de ralentir la cadence pendant un instant, Seth aurait éprouvé un incommensurable sentiment de solitude face à l'immensité urbaine, au milieu de laquelle il ne demeurait qu'un seul être. Lui. Un seul ? Il craignait que non, aussi ne s'offrit-il pas le luxe d'admirer l'opus hominis qui, une fois dépeuplé, s'observait sous un jour nouveau.

Le jeune homme errait à travers un dédale humide, fait de ruelles, de rues, d'avenues. Il parcourait l'anatomie intra-urbaine, passant par le cœur, les artères, les veines, s'enfonçant jusque dans les plus infimes capillaires, avec l'espoir de réussir à semer la Mort.

La cadence lui donnait une impression de sécurité. Rester statique, voilà le danger. L'immobilité transforme le plus agile des animaux en pigeon d'argile - une cible idéale, prête à prendre un plomb, puis à voler en éclats.

Le vent sifflait dans ses oreilles, ses jambes frappaient l'asphalte à un rythme régulier, et Seth parvenait ainsi à enfermer son esprit dans une bulle, un petit îlot de raison dans un océan d'incompréhension infini.

Il baissait régulièrement les yeux vers sa chevalière. Elle trônait autour de son annulaire, fière d'incarner à la fois les réponses et les questions. Inutile de chercher plus loin l'épicentre de toutes les anomalies ; le bijou formait le nœud de ce problème inextricable. La résurrection, le brouillage des perceptions, l'ubiquité, la régénération. Autant de mystères encore noyés sous une couche de brouillard opaque.

Seth prenait toutefois un certain plaisir à contempler la gemme ; il la couvait du regard et lui portait une étrange affection. Ses courbes, son vert profond, ses centaines de petites facettes qui réfractaient une lumière changeante...

Dans sa course folle, il se rassurait encore en se répétant que le pyromane - peu importe son identité précise - ne portait aucun bijou de la sorte, ou du moins aucun de visible. Le jeune homme se raccrochait donc à ce maigre élément et se répétait qu'il s'agissait là d'une différence majeure entre eux. Dieux, hommes, monstres, tant qu'il possédait un élément supplémentaire par rapport à ce fou furieux, cela signifiait qu'il pouvait potentiellement prendre l'ascendant sur lui, en cas d'affrontement inévitable. Illusion précaire que cette conviction, mais aussi illusion apaisante.

Alors que le soleil déclinait, et que ses rayons incendiaires traversaient par endroits la trouée nuageuse qui recouvrait encore Seattle, Seth s'arrêta enfin sur un grand boulevard.

A peine essoufflé, il vacilla lorsque l'air emplit ses poumons. Il comprit soudain qu'il avait tout bonnement cessé de respirer depuis le début de sa fuite effrénée.

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