Chapitre XV

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Emily Novak ajusta une dernière fois son visage dans le miroir de son poudrier. Elle lissa son fond de teint, vérifia les épingles dans ses cheveux, s'assura que son rouge à lèvre ne bavait pas sur ses dents, puis elle rajusta son chemisier tout en s'avançant vers l'entrée du gratte-ciel.

La population grouillait sur les trottoirs, à cette heure d'affluence. Midi sonnait dans l'estomac des employés du quartier des affaires, qui s'empressaient de débourser quelques dollars chez les marchands de rue. Des hot-dogs vendus dans des camions ambulants, ou des triporteurs qui proposaient différents sandwichs, en sachant pertinemment qu'ils possédaient tous le même goût uniforme de carton tiède ; la foule en costumes-cravates se massait devant ces bouis-bouis aux odeurs peu ragoûtantes.

L'espionne fronça le nez. Au moins, pendant qu'ils malbouffent, les bureaux sont déserts, se dit-elle en franchisant la grande porte vitrée. Dans le hall, un garde l'interpella. Il la conduisit vers un portique ; puisqu'elle ne présentait aucun badge d'accès, elle devait se soumettre aux contrôles des visiteurs. La jeune femme obtempéra, en se promettant que, s'il se permettait des mains baladeuses, elle ferait avaler à cet homme son protocole de sécurité, jusqu'à ce qu'on puisse en lire le contenu derrière ses rétines. Aucune arme, aucun objet dangereux, on autorisa Emily à poursuivre en direction de l'accueil. Sur le temps de la pause repas, personne ne tenait la réception, aussi les quelques rendez-vous de dernières minutes étaient-ils priés de monter s'annoncer à l'étage qui les concernaient.

Dans l'ascenseur, l'agent Novak sortit son téléphone et vérifia l'efficacité de son maquillage, avant d'arriver au dernier étage. Non pas qu'elle soit coquette, loin de là, mais Emily souhaitait s'assurer que la poudre réfléchissante empêche les caméras de distinguer clairement son visage ; en allumant l'appareil photo de son téléphone, elle ne vit qu'un large halo blanc. Par chance, le personnel de surveillance devait se concentrer davantage sur une boîte de nouilles chinoises que sur les écrans, car personne ne remarqua cette anomalie – ou bien l'on crut en toute bonne foi à une erreur technique, afin de vite retourner déjeuner. Midi, l'heure idéale pour profiter de la faiblesse humaine.

La jeune femme parvint enfin au dernier étage. Le bing salvateur lui permit de quitter sans tarder la cabine, où une insupportable petite musique occupait en permanence le fond sonore. L'ambiance des bureaux de direction différait du grand hall vide et épuré : les talons s'enfonçaient dans une moquette épaisse, propice au silence des grandes décisions ; de nombreux tableaux couvraient les murs et chargeaient l'endroit d'un pouvoir solennel. Enfin, derrière un bureau laqué, une secrétaire montait la garde, fidèle à son poste, quitte à en mourir d'inanition. Elle interpella Emily dès qu'elle l'aperçut. Avec une confiance capable de désarçonner le plus assuré des hommes, celle-ci s'annonça comme le rendez-vous de midi quinze.

La secrétaire bafouilla, terrifiée à l'idée d'avoir omis une importante rencontre – car cette femme paraissait importante, à en juger par son tailleur hors de prix, ses bijoux aussi sobres que splendides, sa pochette de créateur, sa coiffure si sérieuse et son intraitable visage de porcelaine. Il s'agissait bien du rendez-vous de midi quinze, sans l'ombre d'un doute – quand on dégageait autant de confiance en soi, pouvait-il en être autrement ? Mais alors, pourquoi le rendez-vous de midi quinze n'était-il pas inscrit sur le planning ? Une erreur sûrement ! Il fallait demander à monsieur le directeur, pour être sûre.

– Inutile, lui assura Emily en affichant un sourire éclatant, je vous assure qu'il m'attend, et je pense connaître les motifs qui l'ont poussé à ne pas vous informer de ma venue. Mes employeurs exigent une certaine discrétion, étant donné les services que je vends... Si cela se savait dans le milieu, la réputation de votre patron pourrait pâtir de certains scandales.

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