Le camp d'été ~Reibert~

~7~ Nuit de remords

~NUIT #2: Reiner~

Une fois les bleusailles enfermées « hors du mur », je retire mon masque en forme d'animaux pour suivre les autres vers le chalet principal. La réserve du camp regorge d'artéfacts étranges, donc c'est dans cet endroit que nous avons déniché nos magnifiques déguisements dignes d'un film d'horreur. J'ignore à quoi ces trucs ont servi dans le passé, mais voir une horde de garçons costauds vêtus de ces abominations doit être terrifiant.

Ce que nous appelons « hors du mur » est un simple petit cabanon de pêche qui a acquis son nom grâce au petit mur de pierres à moitié démoli qui l'entoure. Personne n'aime ce lieu effrayant et y passer la nuit est devenu avec le temps la menace culte du camp, ainsi que la source de la majeure partie de nos histoires d'horreurs.

L'idée de forcer les nouveaux à passer une telle initiation ne me plait guère. Ils n'ont rien demandé et même s'ils sont contre ce supplice, ils n'ont aucun moyen de fuir. C'est Eren qui a pris toutes les décisions, qui a mis au point ce plan diabolique en convainquant les autres de le suivre. Comme j'avais envie de porter un masque, j'ai accepté. Désormais, les remords commencent à me ronger.

-Avez-vous vu leur visage quand on les a kidnappés? rit Eren, je devais me retenir pour ne pas rire! C'était hilarant.

-Je trouve que Bertholdt était assez calme, réplique Armin, Marco, cependant, je crois qu'il n'a pas du tout aimé.

-Sans blague qu'il n'a pas aimé? grogne Jean, j'ai encore mal entre les jambes!

Les garçons rient à sa remarque, amusés qu'il se soit fait frapper par notre victime. Seul Livai a refusé de participer à ce coup monté, nous traitant de gamins dénués de maturité. Avec son masque de sommeil noir, le petit ténébreux dort comme un loir malgré le bruit que nous avons fait pendant notre kidnapping. Personne ne s'empêche de parler fort par crainte de le réveiller. Après le sale coup qu'Eren lui a fait l'an passé, je le comprends d'être plus distant du groupe.

À sa place, je ne serais même pas revenu au camp pour éviter de le voir. Le pire dans tout ça, c'est que Jager continue de se moquer ouvertement de lui. Livai est plus fort que nous tous, mais parfois, j'aimerais le défendre face aux moqueries souvent déplacées qu'il se fait lancer par mon ami. Ce dernier à même déjà réussi quelque chose que je croyais impossible : le faire pleurer.

-Eren, tu vas avoir froid si tu restes en camisole, remarque Floch, tu veux mon sweat-shirt?

-Pour qui tu me prends, pour une petite fille? grogne Eren.

Le brun lance à son meilleur ami un regard dédaigneux alors que le roux lui tend gentiment son sweat-shirt gris. Remarquant que l'idée ne plait pas à son destinateur, Floch serre contre lui son vêtement, les joues rouges. Souvent, je trouve que Eren lui manque de respect. Pourtant, personne n'est plus fidèle que lui en amitié et sa dévotion pour Jager est impressionnante. Sachant l'enfance difficile qu'il a eue, ce garçon mérite mieux qu'un ami qui le traite comme un simple subordonné.

Allongé sur mon lit, je fixe le plafond en attendant que le temps passe. Comment vont Bertholdt et Marco? Le sol en bois ne doit pas être très confortable et je souhaite de tout cœur qu'il n'y ait pas trop d'insectes. Si une bête féroce sort de dernière l'un des vieux kayaks, ils n'ont aucune chance de se défendre. Cette idée me donne l'envie d'aller les sortir de là, mais je me retiens par solidarité.

-Reiner? chuchote quelqu'un, Reiner, est-ce que je peux monter parler avec toi?

Je tourne la tête vers mon meilleur ami qui me fixe depuis l'échelle qui mène à mon lit. Ainsi donc, je ne suis pas la seule personne en proie au tourment. Je me pousse un peu pour lui faire une place, puis je tapote le matelas près de moi en signe de réponse. Jean vient s'installer à mes côtés.

-Tu crois que c'était une bonne idée de suivre Eren? s'enquiert-il à voix basse, je veux dire, tout le monde sait qu'il n'a pas de cœur. Si ça se trouve, il nous a embobinés et cette initiation sert juste à les faire fuir.

-J'y ai aussi pensé, avouai-je, avec un peu de chance, ils auront le sens de l'humour. Marco, c'est le mec que t'as invité au camp cette année, pas vrai?

-Chut, moins fort.

Jean grogne et plaque la main sur ma bouche pour me faire taire, inquiet à l'idée que les autres garçons apprennent la vérité. Mon meilleur ami a rencontré Marco en jouant en ligne sur un jeu de PlayStation il y a un peu plus d'un an. Si au début ils étaient de simples coéquipiers, discuter fréquemment a fait naitre entre eux des sentiments. Comme ils vivent relativement loin, Jean a choisi de l'invité au camp pour apprendre à le connaitre dans la vie réelle et tenter une relation. J'espère que tout se déroulera bien, car ce lieu est loin d'être comme les autres. Habituellement, nous n'acceptons pas n'importe qui dans notre meute.

Si Eren apprend que Marco est un sans-histoire venu seulement ici pour flirter avec Jean, il n'aura pas honte de le faire partir à sa façon. Qui sait, peut-être l'a-t-il même déjà découvert?

Dès que le soleil se lève, Jean, Armin et moi sommes les premiers à sortir du chalet pour aller libérer les prisonniers. À cette heure matinale, la température est froide, ce qui me fait regretter de ne pas leur avoir laissé une couverture pour se réchauffer. Leur nuit a dû être un enfer, ce qui me fait appréhender leur réaction. Nous arrivons devant la petite cabane et Jean sort la vieille clé rouillée qu'a volée Eren il y a des années. Après quelques essais, la porte s'ouvre en grinçant et Armin entre en premier. Le petit blond n'a jamais été très à l'aise avec cette initiation même s'il a participé.

-J'ai l'impression qu'il y a eu un rapprochement, remarque Armin avec un sourire.

Je fronce les sourcils, puis j'entre à mon tour pour voir nos victimes assises sur le sol. Marco a le visage enfoui dans le cou de Bertholdt, blotti contre ce dernier. Étrangement, cette vue me déplait. Pourquoi ce garçon arrive-t-il à approcher le séduisant brun alors que moi, il me repousse continuellement?

-Réveillez-vous, déclare sèchement Jean, vous pouvez sortir.

Bertholdt ouvre doucement les yeux, essuyant d'un geste las le rebord de sa bouche qui était ouverte dans son sommeil. Marco se redresse brusquement, ouvrant grands ses yeux rouges et bouffis. Il n'a quand même pas pleuré? Le garçon au visage couvert de taches de rousseurs nous dévisage tour à tour avec rage, puis il se lève pour sortir rapidement de bâtisse en nous accrochant méchamment avec son épaule. Il devrait pourtant être heureux d'enfin être libéré de sa prison de bois.

Bertholdt se lève et il s'approche de moi sans l'ombre d'un sourire.

-La prochaine fois que vous enfermez des gens dans une petite cabane, assurez-vous qu'aucun des deux n'a une phobie des espaces confinés. Marco vous l'avait dit autour du feu, en plus. S'il avait été seul, je n'ose même pas imaginer comment vous l'auriez retrouvé ce matin.

Pourquoi est-ce moi qu'il regarde en faisant sa critique? Je ne me souviens pas de tout ce que les gens disent et cette initiation n'était pas mon idée! Pourtant, je culpabilise lorsque Bertholdt me contourne pour sortir du cabanon. Près de moi, le visage blanc de Jean indique que je ne suis pas le seul à regretter ma participation.