Blythe ignorait combien de temps il passa assis sur le toit de la serre, à observer les cieux. Les étoiles avaient commencé à pâlir, englouties par le soleil levant, quand une voix interrompit sa contemplation.
— Si jamais Joy te voyait ainsi, elle aurait une crise cardiaque.
Blythe pencha la tête. Debout au milieu du chemin menant au refuge, un panier coincé au creux du coude, se trouvait une jeune femme à peine plus âgée que lui. Elle portait un jean délavé et une chemise épaisse, et avait noué ses cheveux blonds en une queue de cheval haute.
— Ce que Joy ne sait pas ne peut pas lui faire de mal, répondit-il avec un petit sourire. Bonjour, Poppy.
— C'est optimiste, ou complètement idiot, de ta part de croire que Joy ignore tout de tes petites escapades nocturnes. Elle te laisse faire uniquement parce qu'elle est persuadée que ça te fait plus de bien que de mal.
— J'aurais plutôt dit qu'elle le faisait par pitié.
— C'est ce que j'ai dit, non ? Allez, descend. Je suis de corvée pour le petit-déjeuner, et si tu veux acheter mon silence, tu as plutôt intérêt à venir me filer un coup de main.
Blythe s'empressa de rejoindre son amie, ignorant la façon dont ses os et ses articulations protestaient à chacun de ses mouvements. Le froid ne l'avait pas quitté, se frayant un chemin dans son être et se logeant dans une partie si profonde de lui-même que Blythe pensait fréquemment qu'aucun feu ne brûlait assez fort pour le réchauffer.
Être auprès de Poppy avait au moins le pouvoir de le distraire. Ils s'activèrent dans la serre, où l'air était constamment moite et étouffant, arrosant les plantes qui semblaient le plus en avoir besoin, cueillant les fruits et légumes mûrs, et laissant les poules sortir pour la journée. Blythe appréciait le silence et la simple compagnie de Poppy. Son amie fredonnait sous son souffle, perdue dans son propre monde. Il lui était reconnaissant de ne pas lui demander s'il avait bien dormi, ou de quoi il avait rêvé cette nuit. De toute façon, Poppy connaissait déjà la réponse.
Poppy était arrivée à Serendipity en compagnie de son petit frère, Isaac, peu de temps après Blythe, durant ces premiers mois où chaque jour se confondait en une masse douloureuse de deuil interminable et de culpabilité brûlante. Joy et César avaient été patients avec lui, se montrant compréhensifs, mais Blythe avait bien vu que les deux scientifiques ne savaient pas quoi faire de lui. La venue de Poppy avait agi comme un baume sur les blessures invisibles de Blythe, soulageant la douleur sans effacer les cicatrices. La jeune femme n'avait pas traité Blythe comme une chose fragile, mais plutôt comme son égal, comme un ami. Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour percer la carapace de Blythe.
Leur amitié était quelque chose de simple, de doux, comme un baiser sur la joue, une main dans la sienne quand il se sentait prêt à chavirer, et une présence réconfortante les nuits où Poppy paniquait de voir un jour Isaac blessé ou mort par sa faute.
Ils firent demi-tour en direction du refuge une fois le panier de Blythe rempli de têtes de laitue, de tomates et de pommes. La serre était conçue de façon à ce que les habitants puissent y faire pousser toute l'année de quoi se nourrir. L'agriculture n'était un talent pour aucun d'entre eux, même si Isaac affirmait avoir la main verte, et ils étaient bien heureux de disposer de la technologie pour remplir leurs estomacs.
Tout le monde était debout quand les deux amis firent leur retour dans la salle commune. Joy était occupée à lire sur sa tablette, une tasse de café fumant à la main, tandis que Isaac était avachi sur le canapé, à moitié endormi, devant un vieux film d'action. Le son de la télévision était coupé, si bien que l'on entendait seulement le raffut que faisait César dans l'infirmerie. Il avait laissé la porte ouverte, et Blythe aperçut son dos, penché sur l'un des lits.
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SERENDIPITY
Science FictionÀ ce moment précis, alors qu'ils étaient entrelacés, Blythe était persuadé que l'éternité leur tendait les bras. Cela lui apparaissait comme une évidence : Eden et lui étaient liés. Là où l'un allait, l'autre suivait, avec peut-être un temps de reta...