chapitre i

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Blythe était un rêveur.

Ton fils est un rêveur, disaient les gens à sa mère en désignant le garçon – maintenant jeune homme – qui se perdait souvent dans ses pensées. Cela sonnait souvent comme un compliment. Dans le monde dans lequel Blythe vivait, savoir se contenter de sa seule présence était un grand talent. La solitude tuait plus que les fractures et autres phénomènes du Plan-Miroir.

Mon fils est un rêveur, répondait la mère de Blythe, mais dans sa bouche le mot résonnait comme une insulte. Une disgrâce. Quelque chose qu'elle essayait de cacher, probablement pour que les autres ne remarquent pas qu'elle-même passait plus de temps à s'isoler dans son imagination qu'à s'occuper de son fils. Peut-être était-ce un signe d'inquiétude de sa part, une peur innée de voir son fils suivre sa voie, mais Blythe ne le saurait jamais. La haine l'avait dévorée depuis bien trop longtemps, ne laissant derrière elle qu'une traînée de cendres qui le brûlaient à chaque fois qu'il tentait d'approcher le sujet.

Elle serait probablement soulagée d'apprendre que Blythe ne rêvait plus, que cela faisait des années qu'il n'osait plus fermer les yeux de peur d'affronter ce qui rôdait dans les confins de son inconscient, ces monstres qui surgissaient dès que sa garde s'abaissait.

Son imagination qui autrefois était son refuge était devenue un endroit où il ne valait pas mieux mettre les pieds au risque de perdre la tête.

Le cauchemar était toujours le même, marchant en équilibre sur la ligne fine qui séparait les souvenirs des songes fictifs. Blythe était de retour dans la Communauté, son premier foyer, ce campement de survivants où il avait vécu pendant les dix-huit premières années de sa vie. Même après quatre ans, son cerveau se rappelait encore parfaitement tout, refusant d'oublier le moindre visage, le moindre détail.

Dans son cauchemar, Blythe n'était pas seul. En réalité, même s'il savait apprécier le silence, il n'avait jamais vraiment goûté à la solitude avant, car partout où Blythe se rendait, une ombre suivait ses pas. L'ombre n'était qu'une métaphore, une manière un peu taquine d'appeler le gamin de deux ans son benjamin qui avait décrété qu'ils étaient liés.

Promets-moi de ne jamais m'abandonner, suppliait le garçon, ses grands yeux sombres reflétant toutes les étoiles du ciel tordu de leur nouveau monde.

Blythe n'avait pas oublié son nom, il en était incapable. S'il y avait une chose qu'il était certain d'emporter dans sa tombe, c'était ces deux syllabes, autrefois si douces, qui désormais avaient le pouvoir de l'achever en un souffle.

Jamais, répondit Blythe avant d'attirer son ami contre lui, se laissant aller dans son étreinte chaude et rassurante, respirant son parfum – jasmin et lessive – qui ne cessait de le hanter.

Jamais. Jamais. Jamais. Le mot résonnait en boucle tandis que le rêve, alors paisible, s'effondrait. Il doutait que, dans la vie réelle, la fracture eût été aussi impressionnante, une véritable déchirure dans la trame du monde qui donna naissance à un torrent de sang et de flammes, mais ce n'était pas important. En l'espace d'un instant, le garçon aux yeux qui renfermaient des centaines de constellations fut arraché de ses bras avec un hurlement à glacer le sang. Blythe restait immobile, incapable de faire quoi que ce soit, et encore moins de sauver celui qui le suppliait de lui venir en aide.

Tu m'avais promis ! Promis, promis, promis... Pourquoi as-tu menti ?

Lorsque les monstres attaquèrent et dévorèrent son foyer, Blythe tourna les talons. Il ne se réveillait jamais avant que les cris de douleur et de désespoir ne disparaissent. Il ne le méritait pas.

*

Quand Blythe parvint à s'extraire des griffes de son cauchemar, il s'en sortit couvert de sueur et gelé jusqu'aux os. Si un passage rapide sous la douche qu'il partageait avec les autres hommes du refuge régla son premier problème, cela ne le réchauffa pas. Le fait que la consommation d'eau chaude soit étroitement surveillée n'aidait pas : le printemps avait beau commencer à s'installer sur la vallée, les jours froids n'avaient pas encore fait leur valise.

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