chapitre xix

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La vision de la vallée avait fini s'estomper de la même façon que l'air avait commencé par manquer à ses poumons, remplacée par une obscurité angoissante et des éclats de lumière qui l'agressaient. Ses oreilles étaient bouchées, émettant un sifflement en permanence qui l'empêchait d'entendre avec précision. 

Et Blythe avait mal. La douleur était devenue une nouvelle constante, une présence familière toujours à ses côtés dès qu'il s'approchait de la conscience. Parfois, il sentait un pincement, puis une vague de fraîcheur qui engourdissait les quelques sensations qu'il avait. Il plongeait alors dans un état proche de l'anéantissement, une existence où le temps n'avait aucune emprise, et où son propre corps était une chose un peu loufoque.

Mais en-dehors de ces brefs moments d'inconscience totale, Blythe parvenait à saisir quelques détails. Comme le fait qu'il avait été déplacé, chaque mouvement provoquant des éclairs de douleur à travers tout son être et le faisant gémir, le son parvenant d'une façon distordue à ses oreilles. Il y avait également toujours quelqu'un qui le touchait, et comme il n'y avait pas meilleur exercice que la répétition, Blythe réussit à identifier chaque toucher et à l'associer avec une personne.

D'abord, il y avait l'individu qui s'occupait de lui, qui était chargé de lui administrer la piqûre salvatrice et de manipuler cet endroit qui lui donnaient envie de hurler jusqu'à s'en décrocher les mâchoires dès qu'on l'effleurait. Il – parce que Blythe était persuadé que c'était un homme – avait les mains sûres et un timbre de voix rassurant. Même s'il lui faisait mal, Blythe avait le sentiment que c'était pour son bien, et il ne craignait pas sa venue.

Ensuite, il y avait la femme qui jouait avec ses cheveux et caressait ses joues. Elle mettait tous les sens de Blythe en alerte à cause du parfum fruité qu'elle portait et de la douceur de sa chemise quand elle le serrait contre elle. Elle donnait envie à Blythe de se réveiller juste pour lui rendre son étreinte, mais la douleur restait trop forte, trop persuasive pour qu'il puisse lui échapper.

Pas encore.

Alors il se concentra sur ces gens qui s'occupaient de lui, pour se distraire et se rassurer.

Il y avait une personne qui sentait continuellement la colle ou la peinture, et qui lui promettait de lui montrer des choses merveilleuses dès qu'il ouvrirait les yeux. Une autre femme avait pris l'habitude de vaquer à ses activités à ses côtés, comme s'il était éveillé et qu'elle se contentait de lui tenir compagnie. Blythe aimait écouter le cliquetis de ses aiguilles à tricoter ou le bruissement des pages qui tournaient quand la douleur devenait presque insupportable, mais pas assez pour le faire basculer dans le sommeil complet.

Quand ces instants-là se présentaient et que Blythe était alors seul, un jeune homme apparaissait comme par magie, toujours avec une histoire prête. Il avait une voix agréable, grave et apaisante, et Blythe se retrouvait à suivre les contes qu'il tissait et à tenter de se représenter les scènes qu'il narrait sur la toile de ténèbres qui l'entourait. Le garçon venait rarement seul, souvent accompagné d'une présence silencieuse qui communiquait son attention par la façon qu'elle rajustait les draps autour de la poitrine de Blythe, ou qu'elle peignait ses cheveux sur son front. Blythe avait le sentiment que c'était également un homme, et son visage était si proche, à portée de main...

Il lui échappait encore. Ce n'était que partie remise.

Puis il y avait Eden. C'était le seul nom dont Blythe se souvenait à la perfection. Il se surprenait à essayer de bouger les lèvres pour le prononcer, en vain. La frustration le tuait à petit feu.

Eden était plus souvent à ses côtés que tous les autres, qui sacrifiaient déjà une partie de leurs journées, mais Blythe détestaient ces moments où il s'éloignait, et où l'air se faisait glacial. Heureusement, il revenait à chaque fois, et Blythe s'accrochait aux minces fils de sa conscience juste pour le plaisir de sentir ses lèvres sur son front et d'entendre ses paroles d'affection.

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