Eden évitait Blythe.
Au début, après son réveil, c'était assez subtil pour ne pas alarmer Blythe, alors trop occupé avec les attentions des autres habitants. Poppy fut la première à lui rendre visite et elle l'aida à avaler un bol de soupe, César lui ayant recommandé de ne rien consommer de solide durant quelques jours. Quand Joy les rejoignit, Blythe ne mit que quelques instants à s'endormir, encore épuisé.
Le même schéma se répéta dans les jours suivants. Un habitant venait tenir à compagnie à Blythe de son réveil jusqu'à ce qu'il succombe à nouveau au sommeil. Cela frustra grandement le jeune homme qui commençait à en avoir marre de ne rien faire d'autre que manger et dormir, avec des pauses pour sa toilette.
Il se souviendrait pendant longtemps de sa première douche. Il n'y avait eu aucune intimité, Poppy se tenant de l'autre côté de la cabine, le regard fixé sur la silhouette de Blythe à travers le verre fumé au cas où il perdrait l'équilibre, mais la sensation d'être enfin propre en valait la peine. Il savait qu'on l'avait nettoyé durant son coma, ce qui ne l'empêchait pas de sentir encore sur sa peau l'odeur du gaz de Joy ou de la terre et du sang qui le maculaient juste avant qu'il ne bascule dans l'inconscience.
Blythe n'était donc jamais complètement seul. Soit il était accompagné d'un habitant, soit César se trouvait à proximité, généralement de l'autre côté de la porte de l'infirmerie quand Blythe demandait à être laissé tranquille.
Mais Eden n'était pas venu le voir.
Dans les premiers jours, Blythe l'expliqua facilement : il y avait eu une ruée pour être auprès de lui, chacun invoquant une raison différente pour être prioritaire, ou menaçant quiconque tentait de le doubler – Porter pouvait être très imaginatif dans ses insultes. Eden étant timide, il n'avait pas voulu s'imposer et le mettre mal à l'aise.
Cette excuse ne tint pas quand Félix devint l'un de ses visiteurs réguliers. Tous les soirs, après le dîner, il lui tenait compagnie, généralement avec un livre. Félix aimait lire à voix haute, et Blythe aimait les histoires. Le jeune homme avait également une voix grave et agréable et un talent particulier pour transmettre les émotions du texte qu'il interprétait. Blythe mentirait s'il disait ne pas attendre ce moment chaque jour avec impatience.
Il mentait aussi quand il prétendait ne pas voir Porter les observer à travers l'ouverture de la porte, visiblement très intéressé mais trop peureux pour intervenir, mais ça ne le dérangeait pas. Poppy lui avait confié que Porter avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire pardonner de Félix, qui avait gracieusement accepté ses excuses. Il semblerait que les efforts du livreur n'étaient pas uniquement motivés par son désir de faire amende honorable, ce qui plaisait beaucoup à Blythe, qui n'osait pas se mêler de cette relation naissante et encore fragile.
Mais la présence de Félix, aussi rassurante était-elle, ne compensait pas l'absence d'Eden. Blythe finit par craquer et interroger le garçon qu'il appelait désormais son ami :
— Pourquoi Eden n'est-il pas venu me voir ?
Ils se trouvaient tous les deux dans l'infirmerie pour ce qui était devenu leur rituel du soir. Ils étaient en pyjamas – assortis, comme avait insisté Félix – et Blythe était déjà au lit, jouant avec le coin de son édredon pour s'occuper les mains. La pièce stérile avait été aménagée pour que Blythe s'y sente plus à l'aise. Il aurait pu retourner dans sa chambre mais César préférait le savoir le plus proche possible de ses précieuses machines et instruments, et Blythe n'avait pas eu la force de se battre. Au moins avait-il un étage pour lui tout seul. Il ne dérangeait personne quand il vagabondait dans la salle commune au milieu de la nuit.
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SERENDIPITY
Science FictionÀ ce moment précis, alors qu'ils étaient entrelacés, Blythe était persuadé que l'éternité leur tendait les bras. Cela lui apparaissait comme une évidence : Eden et lui étaient liés. Là où l'un allait, l'autre suivait, avec peut-être un temps de reta...