Cette nuit, Blythe fit un nouveau cauchemar.
Il ne se trouvait pas à la Communauté, mais au bord du lac, en compagnie d'Eden. La journée était grise, maussade, et un orage couvait. L'horizon était recouvert de nuages sombres et menaçants, et le tonnerre grondait en rythme avec les bourrasques.
Eden était immergé jusqu'à la taille et se battait contre le courant pour continuer à avancer vers les profondeurs du lac, le dos tourné, ignorant les appels désespérés de Blythe.
Eden, reviens ! C'est dangereux !
Au-dessus, la faille pulsait et se tordait comme un animal blessé, s'élargissant à vue d'œil et avalant la réalité autour d'elle, telle un trou noir. Les tympans de Blythe étaient bouchés à cause de la pression et sa tête était lourde et cotonneuse, la pression presque suffisante pour le faire tomber à genou. Mais il restait debout. Immobile. Incapable de se jeter à l'eau pour rattraper Eden et le traîner jusqu'à la terre ferme.
Pourquoi ne m'écoutes-tu pas ?
Cela eut le mérite de stopper Eden.
La faille m'appelle. Je dois lui répondre.
Tu ne dois rien faire du tout ! Je t'en supplie, Eden, reviens...
Le garçon hésita, ses paupières papillonnant à toute vitesse, tiraillé entre le Plan-Miroir et Blythe. Il finit par baisser les épaules.
Je suis désolé, Blythe. On aurait pu tout avoir, si seulement tu m'avais fait une place dans ton cœur.
Blythe eut beau hurler à s'en déchirer la voix, cela ne changea rien. Eden reprit sa route, le lac s'écartant sur son passage pour mieux l'avaler, la faille déployant un bras vers lui. Eden tendit le sien, et au moment où ses doigts effleurèrent le néant, un bang retentissant déchira le monde.
Blythe se réveilla en sursaut, les joues humides et la poitrine lourde de sanglots qui l'étouffaient et manquaient de le noyer.
*
Blythe tenta de dissimuler du mieux qu'il le put sa mine fatiguée. Il s'éclaboussa de l'eau froide sur le visage, avala un litre de café malgré son dégoût pour la boisson, et emprunta même le tube de fond de teint de Joy. Le maquillage était trop clair pour sa carnation mais il arriva à atténuer les cernes violacés qui plombaient son regard.
Quand vint l'heure de leur départ pour le lac, Blythe avait l'impression qu'il allait imploser. Ses nerfs étaient à vif et il ne parvenait pas à calmer le tic qui agitait son œil droit.
Eden le considéra avec inquiétude tandis qu'il ajustait les lanières de son sac à dos.
— Tu vas bien ?
— Pourquoi ça n'irait pas ? répliqua Blythe.
— Tu n'as pas l'air dans ton assiette, répondit-il avec diplomatie.
C'était une manière plus polie d'aborder la situation que celle de Poppy.
— J'ai vu des cadavres plus vivants que toi, avait-elle lancé quand Blythe l'avait croisée dans la cuisine.
Blythe soupira. S'il était honnête avec lui-même, il aurait reconnu qu'il n'était pas en forme. Il ne désirait qu'une chose : tourner les talons et retourner se coucher. Mais il avait promis à Eden qu'il pouvait l'accompagner. Il n'avait pas envie de le décevoir, ni de laisser passer cette chance d'avoir un tête-à-tête avec le jeune homme.
— J'ai mal dormi, finit-il par avouer en haussant les épaules. Mais ça ira. Je me reposerai quand on rentrera.
Eden se mordit la lèvre, comme s'il désirait le contredire, mais ne pipa mot quand Blythe l'entraîna à l'extérieur du hangar.

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SERENDIPITY
Science FictionÀ ce moment précis, alors qu'ils étaient entrelacés, Blythe était persuadé que l'éternité leur tendait les bras. Cela lui apparaissait comme une évidence : Eden et lui étaient liés. Là où l'un allait, l'autre suivait, avec peut-être un temps de reta...