Un tambourinement sur la porte de la grange tira Julietta du sommeil. Une bouteille de Cognac était toujours accrochée à son sabot. Elle se leva péniblement, la tête lui tournait, elle avait une sacrée gueule de bois. Elle se dirigea vers la porte en titubant, pensant qu'il s'agissait encore de Mimi qui venait prendre de ses nouvelles.
Elle ouvrit la porte. Elle n'en crut pas ses yeux.
C'était Antonio, enfin, elle croyait... Voilà quelques semaines qu'elle ne l'avait pas vu, et il s'était littéralement métamorphosé. Il avait triplé ou quadruplé de volume, ressemblant ainsi à un gros tas de viande. Il n'y avait plus aucune trace de muscle chez lui et il était devenu aussi séduisant que Giorgio.
- Que...que, bafouilla Julietta.
Lorsqu'il ouvrit la gueule, une petite voix aiguë remplaça sa voix grave et masculine.
- Je suis désolé Jul... Je n'ai pas pu venir te voir avant.
- Que s'est-il passé ? dit Julietta en le faisant entrer. Tu es...différent.
Antonio soupira, l'air mélancolique. Il se tourna et leva la queue. Il n'y avait rien. Les humains lui avaient coupé sa virilité. Il se retourna, rouge de honte.
- La sélection, c'était ça, expliqua-t-il. Les autres mâles se sont cachés, ils avaient trop honte de revenir.
Julietta sentit une grosse vague de colère et de tristesse l'envahir. Pourquoi ? Pourquoi les humains avaient-ils fait une chose si horrible ? Ils avaient castré tous leurs mâles ! Ils avaient castré SON mâle ! Le seul mâle qu'elle n'avait jamais aimé ! Elle serra les sabots. Antonio la regardait à peine, tant il était gêné.
- J'ai...j'ai l'impression d'être mort... dit-il d'une petite voix. De toute façon, ça ne va pas tarder.
- Comment ?! hurla Julietta.
- C'était la première étape, la seconde c'est de nous réduire en bifteck et de nous vendre.
Les larmes coulèrent sur les joues de la vache.
- Non...non ! C'est impossible ! Il ne peuvent pas...Je ne veux pas !
- Moi si, Jul. Je ne peux pas vivre comme ça. Si je ne peux pas te désirer, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
Il posa son sabot sur celui de Julietta et essuya ses larmes. Pourquoi devait-il en être ainsi ? Pourquoi le malheur s'abattait-il sur eux justement quand la vie leur promettait une belle aventure ensemble faite d'amour et de veaux ? De quel droit les humains les privaient-ils ainsi de leur bonheur ?
- Non... pleura-t-elle. Tu ne peux pas me laisser...
- Il le faut. Ce sera trop douloureux pour nous deux. Il faut que tu refasses ta vie, et surtout, que tu sois heureuse.
Il déposa un long baiser sur ses lèvres, puis quitta la grange, d'un pas mal assuré. Julietta se retrouva seule. Sa sœur n'était toujours pas rentrée, le mâle de sa vie n'était plus, elle retourna dans sa chambre finir la bouteille de cognac.
Dans les mois qui suivirent, tous les mâles de la ferme avaient été changés en boîte de conserve surgelés, «100% pur bœuf », made in Italia.
Julietta en avait une juste au-dessus de son lit. Ce jour-là, elle la contemplait d'un air absent. Depuis qu'Antonio l'avait quittée, elle avait l'impression de n'être qu'une carcasse vide. Elle faisait les mêmes choses tous les jours, machinalement.
La période d'accouplement approchait, et Julietta se sentait de plus en plus triste. Ainsi que toutes les vaches qui avaient perdu leur partenaire. Elles étaient maintenant toutes obligées de faire crac-crac soit avec Giorgio, soit avec Boris, les pires reproducteurs que la ferme n'ait jamais connus.
Plus Julietta observait la boîte de conserve, plus leurs vies lui paraissaient misérables. Pourquoi devaient-elles subir ça ? Pourquoi était-ce aux humains de dicter leurs vies ?
C'était devant la boîte de « 100% pur bœuf », qu'elle eut une idée.
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Cowgster - Les vaches mafieuses
ParanormalQui a dit que des vaches ne pouvaient pas devenir des... criminelles recherchées ? La mafia à pis, un gang organisé constitué à 100% de vaches sème la terreur parmi les humains... Leur revendication ? Devenir l'espèce dominante sur terre. Leurs moye...