Passant par la porte battante, Jill passa au peigne fin ses pensées. Elle prit une profonde inspiration et râtela tout ce qui n'avait pas lieu d'être. Arrivant dans le couloir où se trouvaient Esma et Johan, son pas ralentit. Bouteilles de limonade en main, les deux étaient toujours assis sur les marches.
Les mains dans les poches arrière, elle s'éclaircit la gorge. Esma lança un regard parlant à Johan. Alors qu'il quittait les lieux, Jill prit timidement sa place sur l'une des marches. Esma fixait pensivement le sol, quand, soudain, Braham passa devant elles. Soupir.
Seconde. Secondes. Trente secondes.
— Il me fait de la peine, débuta Esma d'une voix blanche.
Le regard de Jill tomba sur le sol.
— J'arrive même pas à penser à la défaite, de peur d'imaginer mon ami réaliser qu'il a donné sa vie pour une cause perdue.
Une cause perdue, se répéta Jill. Esma posa ses yeux diaphanes sur la jeune Webber, son pouce glissant sur son index dans une peur ineffable.
— Est-ce que toi, t'arrives à l'imaginer vivre après la défaite, Jill ?
Déglutition. Elle hocha pensivement la tête.
— C'est pour ça qu'il me fait de la peine, poursuivit l'ancienne SEAL. Il se donne tous les moyens de réussir. Il dort pas pour penser à toutes ces possibilités de trahison. Il oublie de vivre de peur d'avoir raté le détail. Il se met une pression insensée pour une chose qui va peut-être mener à sa fin. Je pense que le pire, c'est qu'il est prêt à en mourir pour qu'on puisse vivre.
Un rire amer lui chatouilla la gorge.
— En soi, j'arrive même pas à imaginer le jour où on reprendra un rythme de vie normal, Jill. Parce que ce mode de vie dysfonctionnel me tient à cœur depuis que je les ai rencontrés. Ils sont un peu... un peu comme une famille à mes yeux. Mes trois frères. Braham. Johan. Ismail. (Sourires) Et quand je me dis que ma famille va encore être séparée...
Sa respiration devint lourde, saccagée. Elle leva les yeux et retint ses larmes. Jill fut prise dans la même vague affligeante.
— Peut-être que... (Souffle) Peut-être qu'on finit toujours par s'habituer à ce qui nous arrive, pas vrai ? continua-t-elle, tournant la tête vers elle, un sourire serré aux lèvres. Peut-être qu'on a fini par s'habituer à être victimes du choix des autres. Parce qu'on pense qu'on est que ça, qu'on est né pour ça, et eux, pour gâcher nos vies. Peut-être que ce mode de vie nous tient à cœur, parce qu'on a tout perdu pour qu'ils puissent vivre comme avant. Et ça fait des années qu'on se prépare à cette confrontation... mais maintenant, j'aimerais pouvoir revenir en arrière pour m'y préparer à nouveau.
Même si elle n'était pas membre des Colibris, Jill ressentait la même chose. Mais elle n'arriva pas à le vocaliser. À lui dire que c'était comme s'ils ne savaient plus comment fonctionner normalement. Comme si, après la fin des problèmes, quel qu'en soit le dénouement, ils se peineraient à vivre pour eux-mêmes et arrêter de faire des sacrifices pour les autres.
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Rouge sur Noir
خيال علميQui aurait pensé que l'Europe pourrait être frappée par un virus plus meurtrier après une première pandémie ? Loin de l'ignorance mondiale, Braham s'en doutait. Pas de doute, le point de non-retour pour l'humanité se rapproche... Trois ans plus t...