Chapitre 25

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Jacob n'aimait pas utiliser son influence d'Alpha. Qu'il s'en serve immédiatement et avec tant de fermeté démontrait son niveau de fatigue et de lassitude. Un éperon d'inquiétude et de culpabilité m'a traversée. De colère, aussi. J'en voulais à Renesmée pour être à l'origine de son tourment.

En apparence, Jacob était calme : Il a distribué ses ordres laconiquement, avec autorité ; jamais il n'avait tant ressemblé à Sam qu'en cet instant. Sous la surface, il bouillonnait : Il tentait d'écarter ses propres pensées pour mieux s'imprégner des nôtres et comprendre ce qu'il se passait, mais c'était comme vouloir endiguer le flot tumultueux d'une rivière en crue avec un bâton, et la petite hybride était à l'origine de cette crue.

Physiquement, Renesmée allait mieux. Elle avait perdu momentanément le contrôle, et avait été visiblement choquée par sa propre soif, mais Jacob l'avait ramené chez elle sans encombres, et Carlisle l'avait gavée de poches de sang et de nourriture humaine, ce qui, combiné à la présence discrète de Jasper dans la pièce, avait bien vite apaisé la jeune femme.

Ce qui inquiétait Jacob, cependant, c'était le silence de sa petite protégée. Oh, elle n'avait jamais été une grande bavarde : elle économisait ses mots. Mais elle communiquait énormément par des images et des sensations, grâce à ses petits tours de passe-passe vampiriques. Jacob s'était habitué à cette forme de communication, qui n'était d'ailleurs pas si éloignée de ce qu'il expérimentait au sein de la meute. Renesmée lui effleurait le bras, ou posait sa main sur son genou, un geste léger, presque anodin, et les pensées déferlaient, riches de couleurs, de sons et d'odeurs, des illusions superbes qu'elle avait appris à perfectionner en grandissant.

Mais depuis l'incident dans la forêt, Renesmée n'avait pas dit un mot. Ni verbalement, ni mentalement. Elle avait gardé les mains croisées sur ses genoux, hormis pour se nourrir, et lorsque Jacob avait entremêlé ses doigts au sien – Un geste qu'il ne s'était jamais permis, pas de cette façon, encore moins devant le clan Cullen réuni -, elle avait tout simplement refusé le contact.

Ce qui rendait aussi Jacob fou, c'était qu'Edward savait, bien évidemment, ce qui se tramait dans la tête de sa fille. Lui et Bella ne l'avait pas quittée un seul instant, mais Edward refusait de partager ce qu'il savait, au nom du « respect de l'intimité et du jardin secret de sa fille ». Intimité, tu parles ! C'était bien hypocrite de la part du père qui pouvait entendre les moindres pensées de son rejeton en direct, et qui ne s'en privait pas. Sur ce point, j'étais bien d'accord avec l'agacement et l'aversion de Jacob. Il n'avait accepté de quitter Renesmée qu'avec réticence, mais il était resté loin de la meute trop longtemps à son goût, et Edward commençait à vraiment, vraiment lui taper sur le système.

Me plonger dans les problèmes de Jacob était étonnamment apaisant. Je n'aimais pas le voir souffrir, ce n'était pas ça, non, mais me concentrer sur ses soucis me permettait d'occulter les miens. Etait-ce pour cela que j'avais une tendance bagarreuse, que j'allais sans cesse au-devant du conflit ? Quelque part, n'était-ce pas un moyen détourné de me distraire de ma souffrance, de Sam, de mon cœur brisé qui n'avait jamais cessé de me lancer ?

Tu recommence à t'apitoyer sur toi-même, Leah, a grogné Jacob.

J'ai senti l'assentiment de plusieurs autres loups, mais personne n'a rien dit. Nous ne le pouvions pas, nous étions encore muselés par l'ordre de Jacob. Sans doute ne s'était-il pas rendu compte de la puissance qu'il avait mis dans ses mots. Sam savait être subtil, mais Jacob était le leader né de la meute, le petit fils d'Ephraïm Black.

Je me suis contentée de hausser les épaules, autant qu'une louve pouvait le faire. J'avais, moi, ma petite idée sur ce qui tracassait Renesmée.

Il n'y a plus rien à faire, hormis maintenir des rondes, a repris Jacob. Les Cullens auront le résultat des analyses d'ici quelques jours, en attendant, nous ne pouvons qu'être vigilants. Leah, tu vas voir ce qu'il en est du conseil, je reste ici.

J'ai grogné, mais je ne pouvais refuser. Je savais que ce n'était qu'un prétexte pour m'éloigner et apaiser les tensions que j'avais déclenchées. Jacob savait ce qu'il en était du conseil : Ils s'étaient tous réunis chez Emily, ils avaient tous beaucoup parlés et débattus, ils s'étaient contredis et probablement un peu disputés, et ça s'arrêtait là. Jacob l'avait dis lui-même : Il n'y avait rien à faire sinon renforcer notre vigilance, et attendre d'obtenir plus d'informations. C'était notre problème depuis le début, avec ces meurtres : Nous ne pouvions prendre aucune décision, car nous ne savions même pas quel était l'ennemi, si c'était un qui ou un quoi !

En un clignement d'œil, je suis redevenue humaine. J'aurais aimé pouvoir dire que le silence dans ma tête était une bénédiction, mais mon esprit était tout sauf calme. Il bouillonnait de pensées qui se heurtaient les unes aux autres, comme trop souvent. Je ne pouvais rien y faire. Être louve et courir aidait. Dormir, aussi. J'avais déjà essayé d'anesthésier le tout avec de l'alcool, sans franc succès. Mon métabolisme, différent de celui de l'humain lambda, tolérait de grandes quantités d'alcool, et il me fallait en ingérer énormément pour commencer à en ressentir quelques effets, qui se dissipaient bien trop rapidement. Avantage : Pas de gueule de bois au petit matin. Inconvénient : Impossible de se saôuler... Et puis, cette merde coûtait une patte.

Je suis partie au petit trot. Autant finir le chemin en courant. Mes pieds étaient nus, mais cela ne me dérangeait pas. J'avais l'habitude. Je n'aimais pas particulièrement être sale, ni ramener de la terre dans toute la maison, mais j'avais appris à composer avec lorsqu'il le fallait. Sous forme humaine, j'étais loin d'avoir le même souffle ou la même puissance musculaire que lorsque j'étais louve, mais mes performances restaient largement au-dessus de l'humain moyen. Même courbaturée comme je l'étais.

J'étais une impasse génétique, d'accord. Une belle erreur de la nature. Mais on avait vu pire.

J'ai ralenti en approchant de la maison d'Emily. Je me suis sentie me tendre, sans que je ne puisse rien y faire. Cette maisonnette resterait toujours pour moi synonyme de souffrance, de trahison. Qu'elle soit si coquette, si bien entretenue, si accueillante ne faisait que renforcer cette impression. Si elle avait été triste et vieillotte, si l'ambiance à l'intérieur avait été lourde et froide, peut-être aurait-ce été plus facile... Mais ce n'était pas le cas. La chaumière d'Emily était le point de ralliement de la meute, un second foyer pour la plupart, et j'en étais plus que jamais exclue.

Non pas qu'Emily me refuse l'entrée de sa demeure.

Là encore, peut-être aurait-ce été plus simple.

Je n'étais plus qu'à quelques mètres lorsque j'ai vu ma mère sortir de l'habitacle. On avait du m'apercevoir par une fenêtre, ou alors il y avait encore des loups chez Emily, qui m'avaient entendus arriver. Je n'avais pas cherché à être discrète. Ma mère m'a rejointe, l'air agacée et fatiguée. Malgré moi, j'ai souri. Ma mère avait véritablement trouvé sa place au sien du conseil. Elle osait parler, s'imposer, et désespérait souvent d'être la seule femme au milieu du petit groupe d'hommes. Ils la rendaient folle, et elle s'impliquait même presque trop, mais c'était bon de la voir comme ça. Je savais que sous l'impression de lassitude qu'elle affichait, elle avait encore de l'énergie à revendre. Ce soir, Charlie aurait droit à un résumé de la séance : ma mère tempêterait, se plaindrait , secouerait la tête en rythme, et puis ce serait fini. Je ne tenais pas mon caractère de feu de nul part, mais Charlie savait apaiser ma mère : Une fois qu'elle aurait lâché son lest, elle retrouverait son calme.

Je ne pouvais en dire autant.  

Louve [Fanfiction Twilight]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant