Chapitre 36

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Dans mon rêve, j'étais loup, et je volais.

La course était exaltante. Je filais à tout allure à travers les arbres, légère comme une plume. La sensation était différente d'ordinaire, cependant : Je percevais la conscience de mes frères, mais de façon un peu lointaine, un peu brouillée, comme une radio qui grésillait.

Il y avait Jacob, bien sûr, inquiet et grognon et l'esprit occupé par mille choses à la fois, et puis Seth, qui s'inquiétait pour ses propres soucis et ceux des autres à la fois ; Joshua était là, aussi : depuis l'incident du baiser, il était mal à l'aise en la présence de Sam, et préférait courir aux côtés de Jacob, et quelques autres jeunes, que je n'arrivais pas à reconnaître, bien que j'aurais pourtant dû les identifier sans mal...

Je devais vraiment être fatiguée, parce que mon rêve manquait de piment et de réalité, or, je rêvais habituellement très bien, mes songes sur Sam en témoignaient malheureusement. Trop de fois je m'étais réveillée haletante, frissonnante et en larmes, décontenancée de la vivacité de ma rêverie, moi qui pouvais sentir la sensation de sa peau sous la mienne, voir le détail de son visage, entendre le ton exact de sa voix et même respirer son odeur... Oui, mon inconscient était appliqué et mes nuits riches et hautes en couleurs. Cette fois différait pourtant. Je courais avec les miens, mais les sensations manquaient : La puissance de mes muscles qui mettaient en action mon corps, la sensation délicieuse du vent qui glisse sur mes poils, l'explosion d'effluves dans ma truffe... J'en aurais presque gémi de frustration, et j'ai craint un instant que cela ne me réveille. Le sujet même de mon rêve était banal : Une ronde. Mes frères effectuaient l'une de leur ronde pluri-quotidienne, quoi que de façon plus minutieuse, à un rythme différent de celui que nous adoptions habituellement, tous les sens aux aguets. "Tout est strictement normal de mon côté..." "Rien à signaler..." "Deux écureuils se sont battus, par là..."

Je percevais les communications, mais c'est comme si je ne faisais pas partie de la troupe. Personne n'avait conscience de ma présence, je n'étais pas là, je ne pouvais pas communiquer en retour. C'était là aussi une belle faiblesse de mon rêve. J'étais simple spectatrice... Et auditrice. Au moins, j'arrivais à saisir ce qui occupait l'esprit de chacun.

Jacob, bien entendu, était au comble de l'inquiétude. Avant l'incident, déjà, la situation avec Renesmee le préoccupait grandement. Mais depuis... Et il avait eu peur, si peur pour Leah ! Cette bécasse avait bien failli y passer, et il s'était rendu compte que ça lui avait fait un drôle de choc, que si elle venait à disparaître... Il ne préférait même pas y penser.

Seth encaissait bien, mais il multipliait les blagues et les pitreries pour cacher son malaise, c'était dans sa nature. Il avait peut-être grandi, il n'en restait pas moins un jeune aux yeux de Jacob, qui avait développé un instinct de protection tout à fait détestable à son encontre. Plus il vieillissant, plus il se sentait tiré par le sentimentalisme, et cela l'agaçait... Un peu... Et puis cette pauvre Sue Clearwater... Et le responsable de cette attaque, qui courait toujours ! Sam était fou, malade. En temps normal, ça aurait déjà été l'apocalypse, un affront incroyable que de bafouer le territoire Quileute ainsi... Mais s'en prendre à quelqu'un... S'en prendre à Léah... Et Joshua, qu'il fallait gérer, par dessus le marché... Joshua, lui, vivait là sa première grande aventure. Il avait bien entendu longuement entendu parler de l'époque de la guerre avec les vampires, puis l'alliance, et la confrontation avec les Volturis... Ah, quelle époque ce devait être, ce frisson, ce sentiment d'être véritablement un protecteur, un soldat, un guerrier ! Maintes fois il s'était imaginé vivre de telles péripéties, mais maintenant qu'il y était... Maintenant que la paix semblait de nouveau compromise... La situation ne lui paraissait plus aussi épique, palpitante, gargarisante. C'était des rondes en plus, des responsabilités en plus, du sommeil et des loisirs en moins, tout ça pour beaucoup d'ennui et peu d'action et, avouons le, une sacré dose de trouille...enfin, rendez vous compte, quel être devraient ils affronter, qui soit capable de quasiment tuer Léah ? Léah, une des plus anciennes et des plus expérimentées de la meute, géante, coriace, maligne et rusée, la plus rapide de la meute, l'unique et l'incroyable Léah... Arf, c'était tout aussi bien que Sam ne soit pas dans les parages. Il n'était pas méchant, c'était un bon leader, mais il avait toujours dû prendre énormément sur lui vis-à-vis de Joshua. Oh, il le décrivait comme un bon garçon, un bon élément, encore jeune, mais pas méchant ni vicieux pour deux sous... Mais la façon dont Joshua pensait à Léah déplaisait fortement à Sam, et ce baiser... Bien entendu, il l'avait appris, il l'avait vécu à travers les yeux du jeune loup... Oh, Sam était bon, très bon pour dissimuler ses émotions et ses pensées, mais il était impossible de cacher complètement quelque chose à un groupe qui faisait esprit commun... Et il était profondément dérangé par la scène qu'il avait du revivre... Léah, avec Joshua? Enfin bon... Il était jeune, et gentil, d'accord, mais encore impétueux, un peu naïf, il manquait cruellement d'expérience... Léah méritait le bonheur, mais il la voyait avec quelqu'un de plus âgé, de plus mature, qui n'aurait pas peur de l'affronter mais qui saurait tempérer son tempérament d'orage, quelqu'un qui pourrait se mesurer à elle sans jamais se sentir diminué par sa supériorité, quelqu'un d'entier, d'intègre, à sa hauteur...

Les pensées des uns et des autres se mélangeaient. Je n'arrivais plus à faire la part dans mon esprit. Leurs voix mentales se sont faites plus lointaines, je ne les percevais plus que par bribes. Je sentais que je m'éloignais d'eux. La conscience m'appelait...

Je me suis réveillée avec la délicieuse sensation de n'avoir pas dormi de la nuit, l'impression que je venais tout juste de fermer les paupières. Pourtant, j'avais rêvé, ce qui était la preuve ultime que j'avais pu bénéficier d'un peu de sommeil !

J'ai frotté mes yeux. Le rêve avait été pour le moins atypique. J'avais l'habitude de faire des songes très vivants, qui me paraissaient très vrais, et celui-là n'avait pas dérogé à la règle... Pas vraiment. Mais c'était comme si j'avais observé le rêve se dérouler à distance, au lieu d'en prendre pleinement part, et ça, c'était moins habituel.

J'ai louché sur ma poche à perfusion. Avec tous les médicaments qu'on me balançait dans le corps, et dans des doses bien supérieurs aux limites normalement tolérées pour un être humain normal, je devais bien m'attendre à quelques effets secondaires du genre.

Mais quelle heure était-il ? La lumière du jour filtrait dans la pièce, atténuée mais pas bloquée par des rideaux aux fenêtres. Je me souvenais de la visite de Renesmée hier soir, mon agacement, ses questions et ses tergiversions, et ma décision de l'entretenir de quelques sujets importants... Mais je n'arrivais pas à me rappeler de la fin de notre entrevue. Je ne pensais pas m'être évanouie, mais savait-on jamais ? Cela me paraissait toujours plus probable que d'imaginer que je me sois endormie en pleine conversation...

J'ai remué un peu dans mon lit médicalisé. Le sang séché qui était toujours sur ma peau me grattait, et je me sentais sale, mais il semblait que mes plaies avaient tenues le choc et ne s'étaient pas rouvertes davantage, alors c'était un bon point. J'avais toujours mal un peu partout, mais c'était un peu plus supportable que ça ne l'avait été, à moins que Carlisle ne soit passé discrètement cette nuit pour me remettre un shoot d'antalgiques.

Un bruit de papier froissé a attiré mon attention. J'ai récupéré un morceau de feuille, couvert d'une écriture ronde et soignée.

« Merci pour ton écoute et tes conseils », disait le mot. « Je sais que tu ne m'apprécies guère. De mon côté, j'ai apprécié que tu laisses cette considération entre parenthèse le temps d'une nuit. »

C'était très pompeux, pour un message de deux phrases. Sans surprise, il était signé de Renesmée. Bon, au moins, elle semblait contente. Jacob m'en devrait de nouveau une, après ça ! Peut-être devrais-je lui demander de m'apporter à manger. Si mon estomac était noué la veille, il criait maintenant famine, et j'ai résolument décidé que c'était aussi un bon signe, un signe que je me remettais, que mon corps reprenait du poil de la bête et que le pire était derrière moi. Instinctivement, j'ai cherché mon téléphone portable – moi qui, d'habitude, était plutôt du genre à l'ignorer - , mais il n'était pas là. J'ai froncé les sourcils. J'allais un peu mieux, mais j'étais toujours clouée au lit et dépendante du bon vouloir des autres... Tout ce que je détestais. Pourtant, il fallait bien que je demande de l'aide : Malgré toute ma fierté, j'avais un peu grandi, et j'avais conscience que si j'essayais de me lever seule maintenant, je finirai au sol et je réduirai à néant tous les efforts produits par mon organisme pour récupérer.

Il n'en fallait pas plus pour dégrader mon humeur. Colère et frustration ont déferlées comme des vagues en moi, mais c'était presque réconfortant : elles et moi étions de vieilles amies. Ravalant ma fierté, j'ai grommelé, à voix basse : « Je suis réveillée, je pue, j'ai faim et je veux mon téléphone. Est-ce que quelqu'un compte m'aider, ou je dois rester là à pourrir comme un vieux en maison de retraite ? »

Louve [Fanfiction Twilight]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant