- 〉echo ❞

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𝘌𝘤𝘩𝘰 - 𝘘𝘶𝘦𝘴𝘵𝘪𝘰𝘯𝘴

Le jeune homme était allongé sur le côté, sur ce qui était supposé être un lit ― supposé seulement, car il ne s'agissait en fin de compte que d'un tapis réhaussé un coussin sur lequel il s'était installé un peu plus tôt. Il aurait pu retourner dans l'appartement qu'il habitait généralement quand il se trouvait de l'autre côté, mais ne voulait pas croiser l'Ecrivain ou qui que ce soit d'autre de son entourage.

Il ne voulait pas sentir sur lui leurs regards moqueurs et leur mépris condescendant. Il n'avait cure de leurs critiques acerbes, mais ne se sentait pas la force psychologique d'y répondre aujourd'hui, alors qu'il était en pleine remise en question de lui-même.

C'était si simple auparavant. Il se contentait d'exécuter les ordres sans prendre réellement le temps d'y réfléchir. Il lisait les noms, venait les récupérer, et ne se posait plus de questions supplémentaires. Il n'avait pas à se demander si oui ou non tout cela était juste.

D'ailleurs, cette question était futile. On ne parlait pas de justice face à la mort ― elle ne s'appliquait pas. Que les personnes qu'il vienne récupérer soient des enfants ou des adultes, des innocents ou des criminels, le jeune homme aux cheveux flamboyants s'en contrefichait. La seule chose qui lui importait, c'était que son travail soit correctement effectué. Se questionner sur l'honnêteté ou la justice de la chose était stupide. La mort emportait tout le monde sur son passage ; et leur vie n'avait pas d'importance pour elle.

Mais aujourd'hui il doutait. Il doutait d'avoir toujours fait ce qu'il fallait faire. Combien de fois avait-il laissé des hommes en tuer d'autres, avant de venir chercher le défunt sans ciller devant la douleur peinte sur ses traits ? Combien de fois aurait-il pu retenir des hommes et des femmes d'un simple claquement de doigt, pour qu'ils ne mettent pas un terme à leur courte vie ? Combien de fois aurait-il pu empêcher des drames de se produire, des familles d'exploser en sanglots et des innocents d'être enterrés ?

Certaines nuits, comme celle-ci, ces questions étaient omniprésentes. Et il ne parvenait pas à les chasser aisément, malgré son agacement grandissant et son désir de les envoyer valdinguer. D'autant plus quand celles-ci étaient aussi futiles. Ce n'était pas comme s'il pouvait réellement changer les choses. Il ne pouvait pas contrevenir aux ordres de la Créatrice et de l'Ecrivain.

(Même si, au fond, il l'avait presque fait aujourd'hui.)

D'ordinaire, ce type de rébellion était sanctionnée sévèrement ― par la disparition pure et définitive. Mais en fin de compte, l'Ecrivain avait décidé d'être indulgent avec lui. Il l'avait laissé respirer encore un peu, parce que ses résultats étaient exceptionnels. Tout le monde murmurait qu'il serait sans doute le futur Ecrivain, quand l'actuel disparaîtrait. Le jeune homme aux cheveux flamboyants ne savait pas s'ils disaient vrai. Il n'était pas sûr de vouloir prédire la mort d'innocents. Pas sûr de vouloir devenir l'engrenage final de cette machine infernale qu'était la mort.

Il avait encore un peu de temps devant lui, l'Ecrivain avait encore une santé d'acier, malgré les huit siècles qui s'étaient écoulés depuis sa naissance. Cela en faisait déjà sept qu'il passait ses jours et ses nuits à prédire la mort des Hommes, et à rédiger les grues qui sonnaient leur glas. Le jeune homme aux cheveux flamboyants ignorait comment il s'y prenait pour rester de marbre face à tout cela. Comment il pouvait ne pas ciller en écrivant la destinée funeste de gens qui n'avaient rien demandé, et surtout pas à mourir.

Un bruissement de tissu l'avertit qu'une personne venait d'apparaître à ses côtés, et il coula un regard derrière lui, sans apercevoir qui que ce soit néanmoins. Il percevait malgré tout avec force la présence familière de son aînée, qui se tenait sans le moindre doute à côté de lui. Elle cherchait probablement à conserver son anonymat afin de leur éviter des problèmes à tous les deux, en conservant sa broche de voyage (elle n'aimait pas les chapeaux autant que lui).

« Je suis désolé. » murmura-t-il à son intention, alors que le contact d'une peau glacée ― ils ressentaient malheureusement très peu la chaleur dans l'entre-deux ― apparaissait sur sa main.

« Tu as fait ce que tu estimais être juste. » répondit la voix posée de son aînée. Il était quelque peu déstabilisant de s'adresser à elle sans la distinguer, mais le jeune homme n'y accordait pas beaucoup d'importance.

« Mais j'ai contrevenu à nos ordres et nos règles. » Un léger soupir retentit à côté de lui.

« En effet. Mais tu avais tes raisons, n'est-ce pas ? Ce que tu cherchais réellement à accomplir, ce n'était pas défier les ordres. C'était tout autre chose. » Le jeune homme aux cheveux flamboyants s'autorisa à se laisser aller légèrement contre elle, comme quand il était encore un jeune enfant perdu qui se pensait humain.

« Il commence à me faire douter. » Elle ne lui demanda pas qui. Ils savaient très bien de qui il s'agissait. Qui jouait de la sorte avec les nerfs du rouquin, attisant sa haine, mais parvenant également à le faire se questionner.

« Fais attention à toi, finit par répondre la femme à ses côtés. Il est mauvais pour nous de nous balancer entre le monde des vivants et celui des morts. »

Elle savait de quoi elle parlait ― elle s'était retrouvée, tant de siècles plus tôt, dans une situation similaire à la sienne. Mais l'homme dont elle s'était éprise n'avait pas été châtié, parce qu'il n'avait jamais compris. En tout cas, pas avant de croiser la femme qu'il aimait après sa mort, alors qu'elle venait emporter son âme au lieu de son dernier repos.

L'amour faisait partie des choses qui leur étaient inaccessibles.

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Il faut que cela cesse.

Je pensais que tu avais approuvé.

Il ne tiendra pas très longtemps.

C'est son problème.

Il est votre successeur.

Potentiel.

Ne soyez pas idiot. Des individus comme lui...

Apparaissent tous les dix siècles. Je sais.

Vous ne tiendrez pas assez longtemps.

Je pense que je ne me débrouille pas si mal.

Ne poussez pas votre chance trop loin.

Terrifiante comme toujours, Kôyô.

NOS NOMS ÉCRITS À LA CRAIE - 𝘀𝗼𝘂𝗸𝗼𝗸𝘂, 𝘀𝗵𝗶𝗻 𝘀𝗼𝘂𝗸𝗼𝗸𝘂Où les histoires vivent. Découvrez maintenant