- 〉écho ❞

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𝙀𝙘𝙝𝙤 - 𝙍𝙚𝙜𝙧𝙚𝙩𝙨

« Tu regrettes parfois ? »

Le jeune homme aux cheveux flamboyants prononça ces mots sur un ton doux, qui ne s'éleva pas dans la pièce et resta immobile entre eux. Il n'avait pas besoin de parler fort, parce que son interlocuteur était à ses côtés. Celui-ci bougea légèrement, se tournant dans sa direction pour lui offrir un sourire amusé et l'observer dans les yeux.

Il n'aurait pas dû être là. Aucun d'eux n'aurait dû en fin de compte ― leurs places respectives n'étaient pas sur ce lit, allongés l'un à côté de l'autre, mais bel et bien dans leurs propres mondes personnels, là où la vie était supposément normale.

Mais ils s'étaient quand même retrouvés ici, tels des aimants. Plusieurs semaines avaient passé depuis la dernière. Plusieurs semaines passaient toujours ― mais ils finissaient systématiquement par revenir l'un à l'autre.

Pour leur plus grand malheur.

Le silence s'étira encore un instant, avant que l'autre ne murmure une simple réponse, qui n'en était pas une en fin de compte ; le jeune homme aux cheveux flamboyants aurait dû s'en douter, il ne répondait jamais à une question par une réponse mais toujours par une autre question.

« Et toi ? »

Une fois n'est pas coutume, le jeune homme ne rétorqua pas sèchement que ce n'était pas à lui de répondre, et s'absorba dans ses pensées. Quand il avait demandé à l'autre s'il avait des regrets, il faisait allusion à son sort et son futur, qui était devenu incertain en raison de son immortalité. Il aurait aussi pu parler, bien sûr, de leur situation à tous les deux, du fait qu'ils s'étaient encore retrouvés ce soir-là alors qu'ils avaient dit qu'ils ne le feraient plus ― mais il savait que d'eux deux, il était le seul à réellement prendre la fuite ; son interlocuteur, lui, appréciait leur relation actuelle. Il l'avait désirée pendant longtemps après tout.

De son côté, lui avait des phases de regrets et d'autres de satisfaction. Cela dépendait du sujet en réalité. Leur relation, il la regrettait parfois. La nuit, souvent, il se flagellait pour son inconscience, pour ne pas avoir su repousser l'autre, pour avoir continué de le voir alors même que tout lui criait de le fuir. D'autres fois, il était heureux. Heureux que les choses aient tourné ainsi. Dans ces moments-là, il cédait plus facilement à son désir de le voir. Mais les regrets qui venaient ensuite étaient toujours les plus violents.

Il y avait néanmoins de nombreux autres sujets sur lesquels il pouvait s'étendre en matière de regrets. Des regrets d'avoir rencontré cet idiot alors qu'ils n'avaient qu'une dizaine d'année, de regrets de ne pas avoir su le fuir et changer sa destinée ; des regrets aussi qui, indépendamment du brun, revenaient le tourmenter la nuit : ils concernaient toutes ces vies qu'il aurait pu sauver d'un claquement de doigts, mais qu'il n'avait pas épargnées.

Il savait que les conséquences auraient été terribles ― c'était leur première règle. Ne jamais sauver. Même s'il s'agissait de gens bien, même si leur mort n'avait pas été anticipée. Ils n'étaient pas là pour penser et décider du destin des Hommes. Ils étaient là pour obéir à la main de la Créatrice, celle qui cueillait les fleurs de son jardin terrestre au gré de ses envies.

Parfois, le jeune homme aux cheveux flamboyants regrettait de ne pas avoir le choix. Il ne pouvait qu'attendre sans rien dire que les choses se passent comme elles devaient se passer et il devait endurer jour après jour, nuit après nuit, le spectacle macabre de celle qui les gouvernait.

Mais somme toute, il ne regrettait pas sa vie ― parce qu'il était né pour cela dans tous les cas, né pour prendre les vies quand leur heure était venue. C'était sa vocation première, la raison même de son existence. Sinon, il n'aurait pas été créé. Il n'avait ni parents, ni frère ni sœur, juste d'autres messagers comme lui. S'ils cessaient d'exécuter leur travail... Ils ne pouvaient rien faire d'autre. Leur espérance de vie excédait largement celle des humains, et ils pouvaient voir des choses qu'eux ne voyaient pas. Se fondre dans la masse était bien plus compliqué qu'il n'y paraissait quand on était incapable de vivre comme un humain.

Il réalisa qu'il était resté plongé dans ses pensées très ― trop ― longtemps, et observa son interlocuteur du coin de l'œil, qui avait lui aussi les yeux rivés sur lui, un petit sourire figé sur les lèvres. Un éclat de rire lui échappa ensuite, comme si tout ceci avait quelque chose de drôle.

« Quoi ? » marmonna justement le messager en croisant les bras sur sa poitrine et en le dévisageant avec agacement. Les yeux de l'autre homme brillaient légèrement.

« Je crois qu'en fin de compte, on se ressemble beaucoup toi et moi. »

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Tu es heureux ?

Je le crois.

J'en suis satisfaite alors.

Tu ne vas pas me le reprocher ?

Ôgai le fera bien assez.

Et les Anciens aussi, sans doute.

Ne te préoccupe pas d'eux. Vis ta vie.

Est-ce réellement raisonnable ?

Ce qui ne serait pas raisonnable serait de les écouter.

NOS NOMS ÉCRITS À LA CRAIE - 𝘀𝗼𝘂𝗸𝗼𝗸𝘂, 𝘀𝗵𝗶𝗻 𝘀𝗼𝘂𝗸𝗼𝗸𝘂Où les histoires vivent. Découvrez maintenant