Chapitre 46

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J'enfonçai mes talons dans le sable. Sa douceur et sa fraîcheur cajolaient mes pieds nus à contrario des bourrasques de la mer qui giflaient la fine peau de mon visage et qui m'envoyaient des myriades de lames aiguisées. Les vagues terminaient leur roulade dans un fracas assourdissant, tous plus grandes les unes que les autres, comme si elles essayaient de m'atteindre pour m'emporter avec elles. Certaines s'échouaient contre les rochers et venaient briser le silence de cette nuit nuageuse. La petite pleine lune apparaissait de temps en temps et m'aidait à admirer le spectacle. Du moins, quand le voile dans mes yeux tuméfiés ne s'installe pas. Le tissu de mon pull irritait ma peau, mais je n'avais pas le choix. Quand j'avais trop mal, je laissais mes larmes rouler sur mes joues. Je me rendais aveugle, je peinais à les garder ouverts. Je ne m'autorisais pas à les fermer parce que me plonger dans le noir m'annoncerait un nouveau départ dans un passé chaotique auquel je ne pourrais plus en ressortir. Alors, je fixai l'horizon avec cette petite boîte marron entre les doigts. Je m'amusais à la tournoyer dans ma paume, à planter les pointes dans mes coussinets. Mon pouce longeait son ouverture, hésitant à s'y engouffrer. Des fois, il y parvenait, il effleurait le bien à l'intérieur. Mais seulement, pour une très courte durée.

Le vent me basculait sur le côté. Ma misérable force ne pouvait pas lutter. Je tombai ma tête sur le bras de cet homme, assis à ma droite. Tout aussi silencieux que moi. Je ne comptais plus les minutes que nous passions au son des vagues. Nous n'avions rien à nous dire. Rien à expliquer. Un autre l'avait déjà fait.



— Tu ne me remplaceras pas, hein ?

— Si c'est vraiment ça qui te dérange le plus, je te fais une attestation sur l'honneur. On la signe tous les deux et c'est réglé.

J'acceptai. Daichi imprima une attestation, déposa sa griffe avec un stylo noir en bas de la feuille et j'y accolai la mienne après. Il me l'arracha à peine avais-je eu le temps de tracer mon dernier trait et la fourra dans son classeur. Je faisais que de changer d'avis toutes les quatre minutes, maintenant, mon sort était scellé. Je pouvais partir la conscience tranquille ; je retrouverais mon poste dans un an.

Il me désigna la porte du regard et il secoua vivement la main pour me congédier.

— Voilà. Je ne veux plus te voir ici. Oust !

Un petit sourire égratigna la ligne droite de mes lèvres. Je récupérai mon sac et réalisai son souhait sans protester après l'avoir enlacé. Dans le fond du couloir, je croisai le regard épiant de Jin. Il me tourna le dos, pris sur le fait, et se concentra sur autre chose. Une feuille sur le bureau. Je le rejoignis et sa respiration s'accéléra à vue d'œil. Je lui en voudrais toujours pour sa crise devant la boutique, mais je ne désirais pas qu'il pense que mon départ est de sa faute.

À quelques centimètres, Jin usa de son courage pour ancrer ses iris honteux dans les miens. Il s'amusa à toucher sa mèche sur son front, se basculant d'un pied à l'autre, et réussit à bégayer :

— Alors... tu... tu t'en vas ?

— Oui. C'est le grand départ, souris-je amicalement.

Saito, un peu plus loin, suivait notre conversation en pensant être discret. Jin et moi l'ignorions et cherchions plutôt à rompre ce silence lourd autour de nous. Il m'avait déjà présenté ses excuses, que j'avais acceptées à moitié. Peut-être qu'un jour, l'autre moitié la complétera quand j'aurai la tête vidée de toutes mes péripéties de l'année.

Je serrai la bandoulière de mon sac et brisai la gêne qui commençait à s'imposer et à d'éteindre sur Saito.

— Mon frère, Lucas, est arrivé chez mes parents. Il me tâte depuis trois semaines pour qu'on se voie, alors je pense que je vais aller faire un tour là-bas. Après, j'en profiterai pour aller en Amérique, revoir mes grands-parents maternels, mes oncles et tantes. Enfin, bref... je... Je vais bouger.

Désillusions // Eren X Reader X LivaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant