Chapitre 1

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"Un violent incendie a détruit une habitation et a causé la mort d'une jeune mère de vingt-neuf ans et de son fils, tout juste âgé de deux ans. Le père, quant à lui, a été sérieusement blessé.... La piste criminelle est fortem... privilégiée. L'incendie s'est décla...la nuit dern... vers ... Heure trente-c..."

— Ne me lâche pas ! suppliai-je

Main droite cramponnée au volant, je frappai la radio comme une acharnée de ma paume gauche. Je me défoulais dessus en prétextant qu'elle pourrait mieux fonctionner avec cette méthode, mais ce typhon brouillait toutes les fréquences des chaînes.

Je roulais depuis une heure et demie sous une pluie abondante. Pas un seul instant, elle ne s'était atténuée. Elle submergeait les deux voies, et dissimulait les bandes blanches. Puis, la force du vent évoluait chaque minute. Je maintenais le volant avec fermeté pour que la voiture ne dévie pas vers la route attenante ou dans un fossé.

Un typhon se préparait pour vingt et une heures. La préfecture de Tokyo et les villes avoisinantes vivaient dans l'obscurité depuis quatre heures de l'après-midi. J'avais décidé de quitter mon poste peu après. Grâce à ça, j'avais le temps d'évacuer toutes les tensions et le stress de cette semaine avant d'arriver chez mes parents.

Quatre heures me séparaient de leur domicile. Mais avec cette tempête, je pouvais rajouter une bonne heure de plus. Puis, j'ignorais comment tenir si ma radio m'abandonnait au milieu de tout ce boucan. Le seul fait de me retrouver avec le bruit violent de la pluie me paniquait. J'avais besoin d'entendre des voix, d'entendre les personnes rire, blaguer, se disputer, bavarder de tout et de rien. Et ce, dans l'unique but de prendre le plus de recul possible vis-à-vis de mon métier de thanatopracteur.

Je travaillais H24. Je m'occupais des défunts la journée et la nuit. Pour exercer ce métier, il était évident d'aimer la vie et d'être passionné. Au début de mes études, j'étais partie pour être comme mon père, chirurgienne. Seulement, un jour, mon formateur m'avait emmenée dans une salle d'autopsie. Il m'avait montré le corps d'une jeune femme aux longs cheveux blonds. Je n'oublierais jamais son visage. Fin, creusé au teint de porcelaine, lisse comme de la soie, de sourcils bruns, des lèvres rosées minces et boudeuses, des paupières maquillées d'un marron pailleté formant une ligne noire due à la sueur. Son mascara avait coulé sur ses pommettes pâles. C'était une magnifique jeune femme morte des suites d'un coma éthylique. Mon doigt avait effleuré son front et le sentiment de la rendre encore plus belle avait pris le dessus. Je voulais qu'elle soit parfaite. Pour elle et pour sa famille.

Je me sentais utile. J'habillais, maquillais, coiffais les défunts pour leur dernier voyage. Et dans mon coin, j'entendais la famille commenter mon travail : Il a l'air en paix. On dirait qu'il dort. C'était un métier magnifique, mais aussi difficile moralement et physiquement. Au début, j'étais en contact avec les familles. Je partageais leurs douleurs, leurs peines. Et de là, j'avais appris à profiter de chaque instant de la vie, à relativiser.

Même si parfois, il m'arrivait de craquer contre des choses futiles comme cette radio et ce typhon.

La voix lointaine de l'animateur crépita et la lumière bleuâtre de mon petit écran lutta pour survivre. J'exprimai ma colère à travers mon poing et réveillai mes engourdissements à l'épaule et à la nuque. Je penchai ma tête vers la droite avec toute la délicatesse dont je pouvais faire preuve en ce moment précis et tirai mes muscles endoloris. Je secouai ma main rougie par mes coups et la posai sur ma clavicule. J'enfonçai mes doigts dans ma peau. Doucement. Et créai de petits ronds en guise de massage.

Je me concentrai sur la route inondée, et repérai la mort imminente de mon écran du coin de mon œil gauche. Deux secondes après, il s'éteignit. Ce qui devait arriver, arriva : la pluie meubla le silence dans l'habitacle. Je soupirai et tombai ma tête contre le repose-tête, les deux mains sur le volant.

Désillusions // Eren X Reader X LivaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant