Chapitre 30

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La sonnerie de mon téléphone, aussi douce, était-elle, brutalisa mes tympans. L'oreiller estompa un grognement guttural provenant du fin fond de mes tripes et je terminai par basculer sur le flanc. Je tendis une main paresseuse vers la table basse et glissai mes doigts sur l'écran jusqu'à ce que ce son insupportable cesse. Je tombai sur le dos, gardant les yeux fermés.

Lorsque je les ouvrirai, la faible lumière des stores me dévoilera un plafond aux peintures craquelées, une vieille tapisserie rouge sur les murs. Ces détails me ramèneront dans la réalité, même si l'odeur y arrivait déjà très bien. Je refusais. Putain, ce que je voudrais me réveiller dans mon lit, dans ma maison avec aucun problème à l'horizon. Je n'en pouvais plus de cette chambre et seulement une semaine s'était écoulée.

J'allais devenir claustrophobe entre ces quatre murs. Ils me retenaient prisonnière et cette porte en face de moi qui me conduisait vers la liberté était surveillée par un yakuza vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un soir, j'avais pensé faire le mur comme un gosse en passant par la fenêtre même si ma chambre se situait au quatrième étage. Cette situation me poussait à bout. Depuis ma majorité, j'étais indépendante. Après l'épisode avec Carl, je voulais m'affirmer. Je voulais montrer au monde que je ne vivais pas sous la tutelle des autres. Dès mes vingt-et-un ans, j'avais fait un emprunt à la banque pour m'acheter ma première maison, ma première voiture. J'étais libre. Je faisais ma vie comme je le désirais. Et aujourd'hui, on m'avait tout retiré. À cause d'un homme.

Cette journée allait être merdique. Je traînai des pieds jusqu'à la salle de bain et ignorai mon reflet dans la glace. J'activai la robinetterie et me déshabillai pendant que l'eau se réchauffait. Tous mes mouvements s'effectuaient au ralenti. Ma devise de cette journée tournera autour de " Pas trop vite le matin, doucement l'après-midi ".

J'attrapai les clefs de la chambre, mon sac, ma mallette et déverrouillai cette satanée porte. Yasuo, la carrure impressionnante dans son costume noir, se retourna et m'accorda un signe de tête en se décalant d'un pas. Je refermai derrière moi.

— Ne dormez-vous donc jamais ? l'interrogeai-je

Ma voix sortit plus enrouée que je le pensais. Je me raclai la gorge pour faire partir ce chat et pivotai vers cet ancien sumo. Je haussai un sourcil en percevant un microscopique sourire sur son visage boudiné.

— Un frère me remplace lorsque vous êtes en sécurité dans votre chambre.

Je grimaçai et ouvris le pas dans ce couloir à la moquette rougeâtre, tirant vers un noir moisi. Yasuo me suivait à un mètre de distance comme à son habitude et pour la première fois, je le sentis de bien meilleure humeur que moi. Je le jalousais.

Je saluai la réceptionniste derrière son bureau et sortis sous un soleil naissant. Je respirai à pleins poumons cet air frais matinal en descendant les quelques marches qui me séparaient du trottoir. À droite, à gauche, en face, je guettai chaque recoin, chaque entrée des ruelles tout en sachant que mon garde du corps surveillait également les zones. Je ne me retenais pas de le faire, je ne pouvais pas. Je ne voulais pas mettre en tort le travail de Yasuo, mais je devais vérifier les lieux de mes propres yeux. Surtout que maintenant je savais qu'Eren essaierait de se rapprocher de moi. Et tout de suite, la première chose que je remarquais fut que la voiture noire n'était pas présente.

Hier, parler avec Livaï m'avait soulagé d'un gros poids sur les épaules. Il était le seul à m'expliquer concrètement ce qui se passait, à me dire les choses, quelles qu'elles soient. Je comprenais la réaction de l'oyabun et son ordre. Me voir le faisait souffrir, mais dans la voiture, ce n'était pas ce que j'avais ressenti. À notre première rencontre, il m'avait prise pour sa femme. Lorsqu'on s'était revu à mon travail, il avait tremblé à l'idée de me toucher, ne serait-ce qu'un bout de peau. Il avait passé la nuit à me surveiller après l'incident dans la ruelle. Sans le connaître, je l'avais trahi. J'avais remué le couteau dans la plaie et je l'avais enfoncé. Doucement. Profondément, pour faire le plus de dégât comme le souhaitait Eren. Cependant, hier, je ne niais pas que je redoutais cette conversation, j'avais l'impression d'avoir apaisé une tension. Nous avions parlé calmement alors que je m'attendais à des haussements de ton de sa part. J'avais eu le culot d'aller vers lui après tout ce que j'avais fait et pourtant, notre discussion s'était déroulée comme une conversation entre deux amis qui avaient eu un petit différend. Je lui avais parlé avec tellement de naturel. À y repenser, c'était étrange. Beaucoup trop anormal. Mais, j'espérais que cela lui avait fait autant de bien que cela m'en avait fait. Et j'espérais pouvoir recommencer sans être prise la main dans le sac par Frédéric ou pire, par l'oyabun.

Désillusions // Eren X Reader X LivaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant