Ch 56 : Sourires de félin

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Alors qu'ils continuaient leur promenade dans le jardin d'orchidées, Yuan Sunjie et Qian Jingliu parlaient de tout et de rien. 

« Yuan Sunjie... je peux te poser une question ?
— Bien sûr.
— Tu emmènerais qui avec toi sur une île déserte ?
— Quelqu'un de cher !  Mon enfant, ou mieux ! L'élue de mon cœur... pour pouvoir faire des enfants ! »

Qian Jingliu s'emmêla les pieds et tituba.

« Tu as des enfants !? s'exclama-t-il en dirigeant ses yeux aussi ronds que des soucoupes vers Yuan Sunjie. 
— Hein ?  Non, non... ! ('Es-tu idiot ?')   Quel genre d'individu crois-tu que je sois Qian Jingliu ? »

Qian Jingliu balaya aussitôt sa surprise par un sourire.

« Je ne voulais pas être impoli, mais je suis certain qu'une beauté telle que toi doit avoir beaucoup de succès, n'est-ce pas ?
— Mmh... Non, pas vraiment à vrai dire, avoua Yuan Sunjie, qui tiqua sur le mot 'beauté' et choisit de ne pas le relever.  Il y a une shidi qui aime bien discuter d'arts martiaux avec moi parfois, mais les autres soeurs ont toujours mieux à faire que de me parler.  À chaque fois, quelque chose d'urgent surgit dès qu'elles me voient, ou elles ont mal aux cheveux et doivent toujours aller se recoiffer.
—  Vraiment ? dit Qian Jingliu en caressant une fleur d'orchidée avec un rictus félin.  Mais tu as beaucoup d'amis parmi tes shidis ou shixiongs ?
— Pas tant que cela. La plupart d'entre eux me détestent et veulent m'arracher les yeux, soit, ils sont comme les filles : ils ont quelque chose d'urgent qu'ils ont oublié ou ont besoin d'aller aux lieux d'aisances. »

C'était vrai.  Depuis un an, les disciples et les apprentis avaient une réaction pour le moins étrange en sa présence.  La plupart semblaient ne pas supporter d'être près de lui plus de trois secondes.  À peine qu'ils se disaient bonjour, qu'« au revoir » suivait derrière.  Dans huit ou neuf cas sur dix, leurs nez se mettaient à saigner sans raison. Le reste du temps, si les disciples ne bégayaient pas face à lui, ils restaient sans voix et finissaient par fuir en courant avec la queue entre les jambes. 

Le rictus carnassier de Qian Jingliu s'était élargi sur toute sa longueur et resta planté fièrement, comme s'il était détenteur d'un secret que lui seul connaissait.  Ses yeux brillants d'une lueur de malice se rivèrent sur le junzi.

« Aux lieux d'aisances ? répéta-t-il d'un ton faussement surpris, portant une fleur d'orchidée à son nez.
—  C'est cela !  Le pire de tous, c'est mon nouveau maître !  J'ai rejoint sa section, mais on dirait qu'à chaque fois qu'il me voit, il ne peut pas tenir plus de quinze minutes sans y aller... Quand il revient, il est tout mou et somnolent.  Finalement, il est parti méditer en portes fermées.
— Zhu Xueren ? répéta Qian Jingliu avant d'éclater soudain d'un rire qu'il ne pouvait plus retenir, arrachant un large sourire à Yuan Sunjie.
— Peu de personnes arrivent à me supporter en vrai, continua Yuan Sunjie avec plus d'enthousiasme, mais ce n'est pas grave, parce que mes gens préférées restent ces deux gars !  Ying Luo, c'est mon frère, j'ai grandi avec lui.  Ensuite Wang Xiao, que j'ai rencontré à la secte. Nous avons même un enfant ensemble ! »

Qian Jingliu cessa de rire, s'approcha de lui, ravalant tout à coup sa joie.  Le changement fut effrayant et aussi surprenant qu'un soleil de midi dans un ciel bleu sans nuage se faisant gober par la gueule d'un chien.

« Vous avez un enfant, dis-tu ?
— N...Non, ce n'est pas comme ça, ne te méprends pas encore ! piaffa Yuan Sunjie ne sachant pas s'il devait être amusé, vexé ou effrayé par cette mine soudain refroidie et ce regard givré, se rappelant que les Tigres prônaient la chasteté comme vertu, il haussa les épaules.  C'est Xia Shuibo, le colocataire de Wang Xiao, notre shidi, il nous suit partout !  Il est mignon, comme un chiot adopté. »

L'Éternité d'Une SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant