☯️: Le rêve de Qian Jingliu

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La veille de l'excursion aux Chutes Blanches, allongé à côté de Yuan Sunjie endormi sur son lit, Qian Jingliu avait du mal à trouver le sommeil. Son cœur fou cognait entre ses oreilles.

Yuan Sunjie était trop assommé par le remède qu'il lui avait donné et la fatigue de la journée pour lutter contre le sommeil ou le simple fait de partager le lit du jeune seigneur. Pourquoi Yuan Sunjie arrivait à dormir avec trois amis mâles sur le même lit au Mont Zhu mais refusait de partager le sien, à cette question, Qian Jingliu cherchait encore la réponse. Le noble avait donc décidé de rester dans son lit et de laisser le Bambou se réveiller naturellement pour voir sa réaction au petit matin.

À cette pensée, Qian Jingliu frissonna et se retourna pour fixer pour la trentième fois le profil de Yuan Sunjie. Le Bambou avait une peau douce et chaleureuse. Il réchauffait son lit et il gardait toujours cette odeur de soleil, comme un vrai chat.

Ce fil de pensée emmena Qian Jingliu à se rappeler de cette vieille Boule de Sel, le chat qu'il gardait enfant, et finit enfin par s'endormir. Il plongea dans un rêve qui explora ses souvenirs.

Il flottait dans une mer d'encre. Il était enfant, d'environ six ou sept ans. Il se trouvait dans la silencieuse et sombre salle de l'assemblée du tulou central ; une large pièce circulaire où se réunissaient le duc, les anciens et les maîtres.

Ils étaient tous imposants, fiers de leurs âges et de leurs expériences, assis sur des plateformes surélevées dans des loges individuelles. Lui, était à genoux sur un podium qui culminait à quelques zhangs de haut, soumis à leurs regards inquisiteurs, une main blanche enveloppant l'autre avec détermination. Il ne voyait pas bien leurs identités ; la plupart des visages semblait badigeonné par un pinceau humide et ils portaient des vêtements à la forme vague et vaporeuse. À travers ses yeux d'enfant, Qian Jingliu avait l'impression de regarder des rossignols caressant une fleur, mais il était tel un veau en face de tigres.

C'était à sa propre demande qu'ils avaient tous été réunis.

À l'âge de sept ans, le petit Qian Ling avait demandé à son père de lui donner la permission de faire une requête aux aînés de la secte. Bien qu'il fût surpris par sa demande aussi soudaine que surprenante, son père la lui accorda.

« Houye*, vénérable aînés, maîtres respectés, je fais appel à vous ! Mon ignorance restera à jamais trop grande si je me borne à emprunter un chemin d'une seule voie. Vous choisissez les maîtres que vous jugez bons pour moi et qui m'indiquent la voie que j'emprunte. Aujourd'hui, j'aimerais choisir mes maîtres et prendre d'autres voies pour élargir mon horizon.
Jueye... déclara une voix spectrale et tremblante, nous convoquez-vous parce que vous souhaitez prendre un nouveau maître ? Vous êtes déjà tellement intelligent ! Votre soif de connaissance, une telle volonté d'apprendre ! Jueye, vous êtes un jeune garçon très admirable ! Vous êtes la fierté de tous les Tigres en dépit de votre maladie. Je ne vois pas pourquoi nous vous refuserions une telle demande.» C'était la voix de l'un des aînés présents, vêtu d'un imperméable blanc.

« Houye, vénérable aînés, maîtres respectés, persista Qian Ling. Mon savoir est pourtant trop limité alors qu'il me reste tant de choses à comprendre ! Je ne cherche pas un seul maître, mais plusieurs ! »

« Plusieurs maîtres ? » vrombirent plusieurs voix en chœur dans la salle.

Déjà à son jeune âge, Qian Ling pouvait souvent faire preuve d'une grande maturité et il était sans nul doute un prodige dans tous les sens du terme.

Qian Ling avait une intelligence hors pair. Il apprenait à une vitesse folle et il excellait dans toutes les matières. À deux ans, quand il a eu son premier professeur, il ne lui avait fallu que trois jours pour apprendre à lire et à compter, et cinq jours pour maîtriser parfaitement l'écriture. Il pouvait lire un manuscrit une seule fois et la seconde suivante, le réciter fidèlement avec la bonne intonation, ni sans commettre la moindre faute. Son père fit venir de nouveaux maîtres pour lui enseigner de nouvelles matières. Or, ces maîtres et leurs enseignements l'avaient diverti pendant quelques semaines, quelques mois tout au plus. Mais Qian Ling n'avait plus le temps de s'ennuyer.

L'Éternité d'Une SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant