Bonus : Kaze et le Faiseur de Pluie (2)

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Une mélodie grave et envoûtante s'éleva. Les convives subjugués furent sans voix.

« Je vous le dis, si j'avais connu ces outils et ce langage qu'a inventé l'homme, peut-être aurai-je pu rendre ma mère heureuse et moins triste... » avoua Kaze.

«Vous avez une mère !? » s'exclamèrent les junzis silencieusement, sursautant sur leurs chaises. La courtoisie de façade leur faisant ouvertement défaut et Kaze le lit sur leurs visages.

« Beh oui, pourquoi ? On en vient tous d'une, non ? Évidemment que j'ai eu une mère !, déclara-t-il sur un ton vexé. Et même un père, bande de couillons ! Évidemment que j'avais une mère, et même que si j'avais ces choses, je suis sûr que j'aurai pu lui faire oublier sa mélancolie avant qu'elle ne meure ! » , dit-il en balayant la main pour pointer vers la troupe de musiciens qui jouaient allègrement leurs instruments exotiques, soutenus par les voix enchanteresses et aériennes d'une petite chorale se mélangeant au son de la flûte.

Parce qu'il ne voulait pas blesser l'ego du Patriarche des Enfers et qu'il ressentait une pincée de culpabilité, le chef de clan lui déclara alors sur un doux sourire :

« Patriarche Kaze, évidemment que vous avez une mère et vous semblez porter beaucoup d'affection à sa mémoire. Cette musique est très belle et elle apaise le cœur. Je conçois que sa mélodie vous a charmé. Elle nous enchante tous ici, regardez leurs visages ! Shen-shidi est au bord des larmes !
— Je ne suis pas... !, cingla Shen Shuwen en fermant les yeux brusquement.
— Certainement que vous auriez pu la rendre... moins triste, continua Zhu Yazhu. La vie et les épreuves apportent leurs lots de tristesse à chaque paire d'épaules sur terre, mais la musique a vraiment cette capacité d'adoucir la mélancolie et d'exprimer des sentiments qu'on ne peut dire avec des mots.
— Qui sait ? Si la musique existait quand nous étions ensemble, peut-être aurais-je pu lui faire oublier sa peine avant qu'elle n'aille rejoindre mon père décédé ? En réalité, je doute que cela eût suffi. Rien de ce que je faisais ne pouvait la rendre heureuse ou lui faire oublier Père. Père était comme un tigre à ses yeux. Fort, imposant, majestueux et solitaire. Même si je pouvais prendre toutes les formes ou faire tout ce qu'elle désirait, je n'étais pas lui. Si lui était un tigre, moi, j'étais la panthère, jamais je n'aurais pu être lui. »

Poursuivant son récit, Kaze raconta la fois où il a entendu la musique pour la première fois.

Quelque part près de ce qui se trouve être aujourd'hui le désert de Gobi, une guerre féroce faisait rage entre deux camps d'adversaires aux forces bien mal équilibrés. C'était une lutte entre un essaim d'immortels et l'arbre géant qu'était le Patriarche des Enfers.

Pendant trois jours, éclipsé par un disque noir, le soleil n'apparut pour personne sur terre, à l'exception d'un halo de brins lumineux s'effilochant depuis un cercle de feu dans le ciel. La fine luminosité répandait une lugubre lueur rougeoyante sur le monde et dans le firmament, rendant les hommes fous d'angoisses et les êtres terrestres dans l'affliction la plus totale.

Une scène de désolation se dessinait du long des côtes de l'occident au large de l'orient. La faune et la flore bouillonnaient de terreur, cédant l'un après l'autre à la peur et à la panique. Les animaux désemparés quittaient leurs jungles et leurs montagnes, les oiseaux désorientés ne volaient plus et restaient tus dans les endroits où ils avaient réussi à se poser, même des bandes de poissons de toutes tailles s'échouaient en masse sur les côtes. En l'absence du soleil, les arbres se laissèrent dépérir en perdant leurs couleurs dans leurs feuilles qui tombaient à la place de larmes. Les créatures dotées d'essences spirituelles étaient perturbées au point de se dissocier de leurs ancres, mais parce que le monde entier était détraqué, les esprits ne parvenaient nullement à repartir vers leur monde. Les humains qui échappèrent aux migrations terrorisées des bêtes et des monstres restèrent cloîtrés dans les trous à rats dans lesquels ils vivaient ou qu'ils avaient pu trouver.

L'Éternité d'Une SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant