L'Éternité d'Une Seconde

Ch 67: Je ne dors plus. Je ne mange plus. Je ne vis plus.

Dans un cadre qui se dessinait sous un clair de lune, de la musique mélancolique et entraînante emportait le bruit des hurlements et des échos paniqués.

Sous le regard impuissant de son père, le fils cessa de crier et de sa gorge s'échappa seulement un râle désespéré dans un ultime soupir. Ses yeux calcinés luisaient comme deux charbons ardents. Yuan Sunjie laissa retomber Sui Han en un sac de poussière avec la peau sur les... sur ce qui restait. L'impact des restes contre le sol laissa échapper un nuage de cendres dans le vent estival.

Refermant sa paume pour admirer ses ongles qui avaient poussé au point de se toucher tant ils étaient pointus et brillants, Yuan Sunjie s'approcha dans le dos du Maître de la Montagne en lui disant d'une voix qui n'était pas la sienne :
« Est-ce vrai que Pan Gong a donné sa vie en tentant de protéger son épouse qui essayait de fuir avec son nourrisson dans les bras ? Tu devrais le savoir. Il parait que c'est toi qui lui as ôté la vie. Pourquoi toi... ? Essaies-tu de fuir sans protéger la vie de ton fils ? »

Le timbre de sa voix était suave et envoûtant, or ce n'était plus celle d'un homme, ni celle d'une femme, mais les deux à la fois ! Cette voix nouvelle était aussi douce à l'oreille que celle d'un être céleste, fabuleuse et émouvante, chaleureuse et aimante. À l'écoute, on se sentait apaisée, en sécurité.

Yuan Sunjie glissa sa mèche plus courte derrière l'oreille et afficha un air sceptique en battant de longs cils. Son regard était étonnement glacial en dépit des rondelles de feu entourant ses prunelles. Il remua le couteau et versa du vinaigre dans la plaie qu'il infligeait à Sui Da rien qu'à l'usage de mots.

« Es-tu un piètre père ou bien ton fils ne valait-il pas grand-chose à tes yeux ? continua-t-il. Ce n'est donc pas étonnant qu'il ait si mal tourné. Vous avez fait cela pourquoi ? Parce que toi ou ton fils, vous avez eu les yeux plus gros que le ventre ? Voulais-tu sincèrement lui faire plaisir et l'aider à voler la femme d'un autre ? Ou tu l'as fait parce que tu voulais être la Tête de Dragon... Était-ce pour ce titre ? On dit que personne ne connaît son identité réelle, pourtant, vous ne vous en cachez pas, au contraire, vous le dites haut et fort. Vous vous affichez ouvertement. Je n'arrive pas à me décider. Vous êtes dur à cerner. Êtes-vous simplement pompeux et stupide, ou êtes-vous juste un homme de paille, usé pour cacher le véritable Maître de la Montagne ? Quelle impasse. Êtes-vous stupide ou bien faites-vous partie d'un plan plus élaboré ? »

Yuan Sunjie croisa ses bras en attrapant son menton d'une main pensive. De la tête aux pieds, il était sublime dans ses robes qui s'étaient délestées de la couleur des feuilles pour se parer du sang de la rose. Dans ces habits, sa beauté outrepassait la force d'une fleur qui rayonnait lorsqu'elle s'épanouit et surpassait celle d'une déesse immortelle versant des bénédictions depuis son nuage dans les astres. Le teint de Yuan Sunjie portait un éclat doré, ses lèvres le flamboiement d'un rubis de sang. Au fond de ses yeux, les anneaux autour de ses iris portaient à la fois la couleur de l'aurore et celle de l'aube.

Le vieux Sui Da ne savait plus comment raisonner devant une splendeur aussi terrible. Il se demanda un instant s'il avait imaginé tout ce qu'il avait vu depuis son saut du lit. Tout ceci ne pouvait être qu'un rêve ou un cauchemar ? Son fils se portait bien. Sui Han dormait dans ses appartements. Tout le monde dormait encore dans son lit ! Ils ne pouvaient pas être tous morts !

D'un haussement d'épaules, Yuan Sunjie poursuivit sans changer son expression :
« Je miserai sur stupide, mais est-ce important ? Je me suis assuré que la Triade soit rayée du monde. J'ai fermé les Portes dans la Montagne, l'Orchidée Bleu à la cité de Shen et celle de Panyu. S'il y avait un autre Maître de la Montagne, il n'est déjà plus ! Ici aussi, je réduirai tout en un tas de cendres. Alors qu'importe, il ne reste que nous deux maintenant. »