Sous la pluie

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C'était tout là-haut sur le toit de l'immeuble. C'était le soir qui tombait doucement. C'était la marée pluvieuse qui martelait le béton gris.

C'était Light qui avait ouvert la porte sur ce paysage, et Ryûzaki, petit point quelque part par ici. Là mais absent, Ryûzaki scrutait un lieu inconnu, dans l'infini des nuages, comme quelqu'un qui assistait à l'annihilation d'un univers. Et l'eau venait tremper ses cheveux.

Et les gouttes descendaient, tombaient de ses mèches.

Il était beau, comme d'habitude.

À pas silencieux, Light le rejoignit.

Sans un mot, ils s'enlacèrent.

Sous la pluie.

- Tu es trempé, Ryûzaki.

Si trempé qu'il en donnait froid à Light. Celui-ci voulait rentrer s'abriter, mais L le serrait à lui en casser les côtes.

- On entend très fort les cloches, aujourd'hui.

La voix de Ryûzaki était rêveuse, comme s'il sortait d'un long sommeil.

- Ah oui ? murmura Light

- C'est peut-être un mariage.

L'étreinte était toujours aussi puissante. Light également se cramponnait à présent, car dans le fond il n'était pas si mal, ici, auprès de lui.

- Dis Light, un jour on se mariera ? ajouta Ryûzaki

Ils flottèrent un instant, silencieux dans le vent glacé. Light n'était pas surpris. Il avait cette étrange impression - l'avez-vous déjà ressentie ? - cette impression fugace et immatérielle de déjà-vu. C'était simple, Light avait déjà vu cette scène. Dans un rêve ? Dans une vie antérieure ? Quoi qu'il arrive, Light savais. Il avait toujours su.

Avant que Ryûzaki n'ouvre la bouche, Light avait compris ce qu'il dirait. Et Light savait tout de ce qu'il allait répondre également.

Se marier. Relier deux êtres, relier deux âmes par des fils lumineux et sacrés. Comme deux couleurs s'accordent ensemble ; ou qu'un vin et un plat relèvent le goût de l'un et de l'autre. Ils se marient car ils s'harmonisent, et forment un tout qu'on ne saurait séparer.

Se crocheter l'un à l'autre pour la vie.

Pourquoi pas ?

Le temps passerait, les nuages fileraient dans le ciel et l'eau coulerait sous les ponts. Light et Ryûzaki vivraient, main dans la main, qui se rideraient et deviendraient sèches. D'ailleurs eux aussi deviendraient tout fripés, des petits vieux, voûtés par le poids des années.

Light s'imaginait bien, croulant comme un dinosaure, sur un banc, à regarder son vieil homme avec ces yeux de biches, dégoulinants de tendresse, que se jettent les couples de grands-pères, les couples de grands-mères qui s'aiment depuis toujours.

Peut-être qu'ils n'auraient plus toute leur tête. C'est ça aussi, le prix de la vieillesse. Peut-être seraient-ils gagnés par la maladie de l'oubli ; ce mal qui fait prendre aux images du passé des couleurs pastel, efface des fragments et craquèle les détails comme s'abîme une peinture aux siècles qui passent.

Peut-être que tous leurs souvenirs s'envoleraient. Peut-être qu'ils oublieraient la folie de l'enquête, qu'ils avaient été L, le célèbre détective, et Kira le tueur justicier ; et puis Light et Ryûzaki.

Ils ne sauraient plus qui ils sont eux-mêmes. Ils auraient tout oublié.

Mais ils n'auraient pas oublié qu'ils s'aimaient.

L'Enfer est de papierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant