Retrouvailles

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L était resté de marbre.

- C'est bien, Light.

L'enfermement dura encore très longtemps. Light suppliait toujours d'être libéré, mais seul le bourdonnement de la caméra était apporté en retour.

Un jour, quelqu'un toqua à la porte. Ni la veille, ni le lendemain. Il n'y avait sûrement pas de raison particulière à ce que ce soit ce jour-là en particulier. C'était aujourd'hui, et c'était Watari, qui le libérait.

Conduit en voiture par le discret vieillard, les mains menottées, Light voulu s'enquérir du bien portant de Ryûzaki, si Misa allait bien, qu'était devenu son père. Watari murmura quelques mots « bien, bien, il n'a pas changé ». Et ce fut tout.

Les rues de Tokyo défilaient, l'accélération les collait les unes aux autres, les jumelait comme une seule, gigantesque. Les détails s'étiraient en longueur, les couleurs délavaient. La voiture le ballottait, gauche, droite, gauche, gauche. Les passants déambulaient sur les trottoirs, tous les mêmes avec leur face de rat. Si Tokyo, avait changé, un peu plus petite, ou bien ce je-ne-sais-quoi de différent qui provenait de l'âme d'un voyageur de retour, les citadins, eux, n'avaient pas changés. Une masse, juste une masse, qui mangeait, se levait, travaillait, aucun d'eux n'avait de nom. Et puis ce fut tout, car le voyage s'achevait.

Il sortit, aspira le savant mélange oxygène-carbone-gaz-rares, cocktail des villes, poison des poumons. Il monta dans un ascenseur, aux côtés de Watari, taciturne comme un groom de 50 ans d'ancienneté. Le prisonnier et le geôlier franchirent un couloir verdâtre, puis une porte marronasse, et enfin Light déboucha sur une pièce épurée, blanche comme une lumière de paradis. Des écrans, petits, carrés, grands, à l'image distordue, en noir et blanc ou en polychromatiques entouraient de partout Light. On aurait dit des regards braqués vers le centre de la pièce, au seul endroit où le sol n'était pas jonché de fils électriques, de papiers, ou de cassettes vidéo. Des yeux extensions du corps de l'homme assis au milieu de tout ce fatras informatique.

Accroupi sur un fauteuil, le visage pâle, immobile, comme une lune qui se lève au-dessus des nuages, il l'attendait.

Il lui lança, sur un ton négligeant, comme on aurait pu dire « passe-moi le sel » :

- Raconte-moi ta version des évènements.

Light avala sa salive, peut-être conscient du volume qu'il lui faudrait dépenser pour apporter chaque détail à Ryûzaki.

- Je n'ai aucune version. Je te le dis en toute honnêteté : je n'en ai pas. Ou peut-être, je n'en ai plus. Je me vois rencontrer Misa, son rire tout aigu et ses petites dents blanches, je me vois la présenter à ma famille. Puis, te percuter dans la rue, te pincer, t'abandonner. Revenir pour te dire que je suis peut-être Kira. Toutes ces actions, comme dans un rêve. Je m'en souviens, mais je ne sais pas pourquoi je les ai accomplies. Comme quand on se souvient du contenu de notre songe, et qu'on y cherche la cohérence. Je me suis réveillé, j'étais emprisonné dans la petite cellule, on me surveillait en attendant de prouver que j'étais Kira. Et pourquoi j'ai fait ça ? Je suis sûr, pourtant, de ne pas être Kira. Toutes mes actions me semblent illogiques, irréalistes. Tu veux savoir le pire ? Je ne sais même pas qui est Misa.

Ryûzaki, avait posé son pouce sur sa lèvre inférieure, attentif.

- Peut-être, poursuivit Light, que j'ai quelque chose qui s'apparente à un T.D.I. Je ne sais pas. Un autre Light a peut-être agit à ma place, avant de disparaître. Avec un but à tout cela ? J'ai perdu une partie de moi même, peut-être. Mais je pense ...

Il s'interrompis, hésita, repris.

- Si cet "autre" Light a été capable de faire ce genre de choses, alors il vaut mieux qu'il ne refasse jamais surface.

- Oui, dit énigmatiquement Ryûzaki, il vaut mieux que Kira ne refasse jamais surface.

Light le regarda avec stupeur.

- La théorie la plus plausible, expliqua le détective, est que tu aies été Kira. Et que pour une raison x ou y tu ne le sois plus. Et que tu aies tout oublié à ce sujet.

- Oh ! s'exclama Light, tu en es sûr ?

- Il est arrivé une chose semblable avec Misa, commenta Ryûzaki. Au bout de trois jours d'enfermement, elle a semblé parler avec quelqu'un d'autre. Ensuite, on aurait dit qu'elle avait subi une altération de la mémoire. Tu as fais exactement la même chose, quelques temps plus tard. À ce moment-là, les meurtres ont repris.

- Quoi ? Mais si tu penses que ce n'est ni moi ni Misa, alors ce serait un autre Kira, encore une fois ?

- Tu es toujours aussi intelligent, Light. En effet, il semblerait qu'un Kira soit dans la nature, et qu'il ne s'agisses pas de toi.

- Merveilleux ! Lança Light, ce qu'il était seul à penser.

Il tripatouillait ses mains, les frottaient l'une contre l'autre, comme une mouche comploteuse. C'était l'heure du risque.

- Et, hem, comme mon innocence est prouvée, risqua par conséquent Light. (Il inspira une grande bouffée d'air avant d'ajouter) Est-ce que ...

- Je sais, l'interrompis Ryûzaki. Mais d'abord, à mon tour de te raconter ma version.

- Bien sûr.

- Habituellement, la haine est rouge. La mienne était noire. Je voulais te détruire Light, t'annihiler. Noire comme se baigner dans un lac, par une nuit sans lune. J'ai coulé sans un mot.

- Mais tu es remonté.

- Je suis remonté, car après deux mois de silence, j'ai entendu une voix qui tempêtait à mes oreilles « c'est toi que j'aime ».

- Ma voix.

- Elle était plus rauque qu'aujourd'hui. Sans elle, je ne sais pas où je serais. Pas dans ce corps.

- Ryûzaki ... Je suis désolé.

- Cette voix m'a sauvé, acheva-t-il.

Soudain, mus d'un même élan, ils sautèrent dans les bras l'un de l'autre, dans des éclats de joies, des rires. Les contours des pupilles noirs de Ryûzaki étaient vagues, perçus par la vision brouillée d'eau de Light. De belles embrassades, songea-t-il, tandis qu'il écrasait Ryûzaki de son étreinte. Il y eu des « Bon dieu de bois », des « Je suis si content ! » des « Tu es là », d'autres « Je suis désolé ». Grisés de l'odeur du partenaire qui les submergeaient, ils lançaient des phrases sans queue ni tête, s'interrompaient sans cesse l'un l'autre, et leurs mains caressantes jouaient les ambassadrices des corps qui se frôlaient.

Ryûzaki disait des bêtises, un baiser le fit taire, et toute la joie, la célébration se fondit dans la rencontre des lèvres pressées de se retrouver. C'était un vrai baiser, pas simplement les bouches qui se confondent, mais tout le corps qui se remplit de chaleur, entame une danse aux airs d'incantation, une valse d'amour où tout les sens atteignent l'extase.

- Light ? apostropha une voix grave.

La porte s'était ouverte en grand sur un quinquagénaire grisonnant, en costume cravate.

- Papa ? glapit Light. 

L'Enfer est de papierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant