Light s'éveilla quelques heures plus tard dans le lit, l'esprit brumeux comme un nuage de beau temps. Il était encore tout habillé, mais il n'avait plus ses chaussures. Ryûzaki, ponctuel attentionné, les lui avait peut-être retirés.
D'ailleurs, celui-ci était là, il dormait à côté de Light, placide, chaque inspiration, expiration graduant une seconde environ.
Light se remémora la veille, l'arrivée de L dans la chambre, l'annonce comme quoi il allait être arrêté, et ainsi de suite. Maintenant que ses idées étaient un peu plus claires, Light se demanda s'il était en train de devenir fou, ce qui lui fut franchement désagréable.
Par la fenêtre, on apercevait le profil symétrique du mont Fuji, écrasant de sa beauté, d'un gris mille fois plus beau que celui de Tokyo car cisaillé d'aspérités, d'ombrages, de lacs qu'on devinait à peine de loin, dans les légères nuances de teintes grisâtres, écarlates et ébène. Les neiges éternelles couronnaient la masse rocheuse de leur blanc pur et éclatant. On croyait endormit, depuis l'éruption de Hōei, il y a plus de 300 ans, Fuji-no-Takane l'immortel, le sacré, né des entrailles brûlantes de la terre. C'est vrai qu'il semblait si silencieux et imperturbable qu'on l'aurait pensé inoffensif, malgré son cœur bouillant.
Le mont régnait sur les immeubles de la cité, disposés au sol comme un tas de brique. Des boulevards, des avenues et des ruelles hachaient ce morne tapis de béton. Dans ces artères circulaient des petits points par milliers. Des étudiants, des voyageurs, des touristes, des commerçants, venus des autres régions du japon ou du monde, étaient attirés par la cosmopolite Tokyo, comme des abeilles sur un pot de miel, et se noyaient tous dans le bouillon de vie.
Ces gens, L ne les connaissait pas car il ne les côtoyait pas. Light les avait fréquentés toute sa vie, les aimaient auparavant, les méprisaient désormais.
Pas loin du centre, un vieil homme usé par la vie, croisa une petite fille, et sourit, car elle avait mis son chapeau à l'envers. L'enfant sourit en retour, il est tout drôle le monsieur, avec ses dents qui lui manquent. Elle aimait bien son front, aussi, qui gagnait du terrain sur sa chevelure. La sienne lui faisait subir des misères à tout le temps être emmêlée. Mais déjà sa mère tirait la petite du bras. La fillette adressa un gentil signe de main à l'homme, bien qu'ils ne se connaissent pas. Le vieillard inclina tristement la tête et s'en retourna. Il était seul.
Un homme le frôla sans le voir, en costume, à lunettes, il était en retard, il n'avait pas le temps pour des bêtises. Il allait peut-être conclure un important contrat aujourd'hui. Il voulait tant pourvoir assez son fils qui rêvait d'être ingénieur. L'adolescent était déjà si désespéré depuis la mort de sa sœur !
Une jeune femme aux cheveux courts dépassa le vieillard. Elle flânait depuis la veille dans les rues interminables. Elle profitait de son année de césure, elle savourait, se gorgeait de Tokyo, de l'ambiance et des habitants. Elle espérait trouver un sens à sa vie. À la fin du mois, elle devrait rentrer chez elle, en Allemagne. Elle finirait ses études, trouverait un travail, et deviendrait aussi terne que les adultes qu'elle côtoyait.
Le vieil homme pensait à sa mère.
Un bébé hurla.
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Ses cris parvinrent à Light, qui détourna son regard de la fenêtre, pour le poser sur Ryûzaki.
Il s'attarda à le regarder, appuyé sur l'oreiller, à côté de lui. Comment Ryûzaki avait-il pu se retrouver dans cette position ? Les rares fois où il dormait, c'était comme lorsqu'il réfléchissait, roulé en boule, la face contre les genoux, sur son fauteuil.
Mais ce matin-là, il était étendu sur le dos, à l'horizontal, comme une méduse échouée.
Light détailla les plis entortillés de son tee-shirt, qui, à la lumière du petit matin, se complaisaient à former des chemins, des grottes, des plaines : une fantomatique contrée clair-obscur émergeait sur le tissu. Light connaissaient les côtes saillantes, les muscles atrophiés et la peau granuleuse que masquait le large vêtement. Son regard remonta le long du cou. Il mira encore les pupilles noires de Ryûzaki, recouvertes par deux minces et claires membranes, son nez, ses cheveux noirs emmêlés, ses lèvres, fines et pâles. L'air qui entrait et sortait avec douceur.
Comme un malade heureux, il frissonnait.
Light sentit un malaise poisseux couler le long de sa gorge. Quelque chose clochait. Quel jour funeste était aujourd'hui pour que Ryûzaki soit là, étendu comme une coquille vide ?
Son petit ami entrouvrit les paupières. Il se tourna vers Light, pour venir s'appuyer sur sa poitrine, encore à moitié endormi. Il avait les yeux vitreux du réveil, ceux qui fixent mais ne voient rien.
- Light ... Tu te sens mieux ?
- Oui, beaucoup. Merci Ryûzaki.
- J'espère que tout ira bien pour toi désormais.
Il sourit avec la tristesse d'un bébé :
- Tu sais, je vais quand même devoir t'arrêter.
Une lueur épouvantée s'alluma dans les yeux de Light, qui l'embrassa sur le front pour dissimuler son trouble.
- Chut ... Rendors-toi, tu es encore à moitié assoupi.
La voix grave était si douce : sans lutter, Ryûzaki se laissa emporter.
La main qui tenait la sienne la lâcha aussitôt, comme on retire ses doigts d'un objet brûlant. Light bondit en arrière, d'un geste brusque, spasmique, heurta le mur, réprima le cri qui voulait sortir, mais resta malgré tout collé à la paroi.
Il poussait sur ses pieds, de toutes ses forces, appuyait sur le mur plaqué, les bras repliés sur sa poitrine, la main sur sa gorge, incapable de faire le moindre mouvement. Sa vision se mêlait de nuée grises, de minuscules points lumineux. Son cœur battait à tout rompre, bom, bom, bobom bobom, il martelait la poitrine de Light, qui, succombant sous ses coups, était au bord de la syncope.
Tournait la tête dans tous les sens. Aperçut un morceau de papier, par terre près du lit, là où Ryûzaki l'avait lâché. Le Death Note ? Le Death Note !
Un crayon, vite, Light devait trouver un crayon. Il palpa ses poches de ses mains pleines de sueur.
Un crayon ! Il bondit, s'accroupit, et vite, vite, écrivit.
Sa main tremblait.
Bom, bom, bobom, bobom.
L'air manquait à Light.
Il arriva à la dernière lettre.
La pression retomba. Light prit une grande inspiration qu'il essaya de prolonger durant plusieurs secondes. Une sensation confortable de léthargie l'envahit. Il savoura l'instant, serein, profita des rayons de soleil par le fenêtre, de l'appui de la terre.
Il se releva doucement, vit le lit, et Ryûzaki, plus paisible qu'il ne l'avait jamais été.
Tout était terminé.
La glotte de Light remonta dans sa gorge, pareil à un sanglot ; mais ce n'en était pas un. Il se rallongea sur le lit, et réagrippa la main tiède de son némésis. Il se roula en boule, la tête sur son épaule immobile.
Dehors, un oiseau solitaire se taisait. Comme il ne chantait pas, personne ne savait qu'il était là.
Light était blotti comme un enfant, contre son amour perdu, alors que la vie quittait tout doucement le corps de Lawliet.
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L'Enfer est de papier
Fiksi PenggemarEt si Light et Ryûzaki étaient déjà en couple avant le Death Note ? Il n'y a pas plus heureux que Light et Ryûzaki. Ils vivent une belle romance et l'avenir leur sourit. Mais cette perfection ne serait-elle qu'apparence ? Après tout, un simple cahie...