L'Enfer est de papier

Cause et conséquence

Il y a 15 jours de cela, L interrogeait longuement Misa. La jeune fille, mal à l'aise, gardait le visage baissée vers ses chaussures. Tous les regards braqués sur elle lui pesaient ; les enquêteurs décortiquaient le moindre de ses mouvement, suspicieux.

L lui faisait face, immobile. Chacune de ses paroles résonnaient déformées aux oreilles de la jeune fille, qui luttait pour répondre correctement et ne pas vomir. Il lui était impossible de relever la tête et d'affronter ces yeux globuleux ; le visage inhumain de L était gravé à jamais dans sa mémoire, associé aux souffrances qu'elle avait subi durant sa détention.

Elle se souvenait du masque de fer qui la plongeait dans l'obscurité, et de la camisole qui la maintenait debout sur une tablette dure. De la voix, la même voix que celle qui l'interrogeait maintenant, et ses intonations insensibles, retranscrites par un micro. De la peur, de la faim, de la déshydratation, car elle n'avait ni mangé ni bu pendant plusieurs jours. De la sueur et des larmes qui coulaient sur sa peau. Des pas d'un homme – elle le savait car il avait la voix grave – qui était venu, et avait essayé, sans relâche et par tous les moyens, de lui faire avouer qu'elle était le second Kira. Il l'avait interrogé sur ses habitudes, ses faits et gestes récents, et avait répété, encore et encore les mêmes questions. Elle avait répondu ce qu'elle pensait être la vérité, qu'elle n'était pas Kira, seulement en couple avec Light, mais l'homme lui avait fait redire ses réponses, en essayant de la piéger dans son propre mensonge, de déceler des incohérences. Il variait les tons : parfois la voix grave se faisait douce et conciliante et l'instant d'après elle lui hurlait dessus et lui sommait d'avouer. Il l'épuisait mentalement pour mieux rentrer dans sa tête, et ressortir toutes les informations qu'il voulait. Et quand elle était au plus bas de ses résistances, hagarde, bafouillante, il en profitait pour ajouter des impulsions électriques au taser qui traversaient son corps, la brûlaient, la faisaient hurler de toute son âme ...

Misa savait que si L, en face d'elle, avait le malheur de lui saisir le bras, ou de la toucher physiquement quel que soit l'endroit, elle crierait et s'enfuirait : la peau de son bourreau lui transmettrait une décharge électrique, de celles qu'elle avait reçue plusieurs mois auparavant.

Mais aux regards méfiants de l'équipe d'enquête et à celui des yeux morts de L, s'ajoutait un dernier, qui lui brûlait le dos. C'était celui de Light, assis à sa gauche. Elle ne pouvait s'empêcher de rougir, et se faisait violence pour ne pas le détailler. Elle bouillait aussi d'envie de s'approcher de lui, et simplement caresser, d'une infinie tendresse, ses joues. Quelle pouvoir magnétique cet homme avait sur elle, alors que pourtant, il y a plusieurs mois ... Il l'avait quittée ...

Elle s'en souvenait aussi, elle s'en souvenait même mieux. Elle l'avait aperçu, pour la première fois, depuis un bar. Il marchait sur le trottoir, juste derrière la vitre. Aussitôt, elle était tombée folle amoureuse de lui. Puis, elle lui avait rendu visite, et une fois dans la chambre, ils s'étaient mis en couple. Ce fut alors pour Misa le début de la partie la plus heureuse de sa vie. Elle, dont les parents étaient morts jeune et qui malgré son métier de mannequin idole des jeunes se sentait horriblement seule, avait enfin trouvé quelqu'un à aimer. Light était beau, intelligent, attentionné, en un mot parfait : Misa le savait déjà, ce serait le seul homme qu'elle aimerait de sa vie.

Mais un jour, sans crier gare, des policiers étaient descendus d'un fourgon et l'avaient embarquée. Elle avait perdu connaissance, et l'avait reprise entre le masque de fer, la voix métallique transmise par les enceintes, celle plus grave et manipulatrice, et les éclairs de douleurs. Des semaines s'étaient écoulées, dans l'horreur. Elle en était ressortie traumatisée. En revoyant Light, elle aurait voulu se blottir dans ses bras rassurants, et oublier cette période, qui lui revenait désormais par fulgurances dans des cauchemars. Mais, d'une voix calme et posée, qui se voulait courtoise, Light lui apprit qu'il la quittait et qu'il était en couple avec L. Misa supposa qu'ils s'étaient séduits pendant la période où elle était enfermée, et où elle avait supporté chaque nouvelle douleur en pensant à Light ! Misa avait explosé dans une colère désespérée, et prit congé en lui adressant un doigt d'honneur.