Fight & Deal

Chapitre 3 : Vic

« Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge » Winston Churchill

J'ai mal dormi. J'ai mal dormi et je sais précisément pourquoi. Pas besoin de remettre en cause ma consommation de caféine de la veille, ou le nombre d'heures que j'ai pu passer devant un écran, la seule cause à mon insomnie vient du fait que j'ai accepté de faire entrer un homme dans ma vie.

Dit comme ça, on pourrait penser que je fais tout un drame de cet emploi. Après tout je ne l'ai pas invité à se glisser sous mes draps dans mon lit : je l'ai juste embauché. Mais dans ma tête ma boutique est ma vie, une des choses qui compte le plus pour moi, c'est un peu comme si je m'apprêtais à le payer pour : me border tous les soirs, me tendre la serviette à la sortie de la douche, mettre du parfum dans les toilettes après que j'ai eu fait la grosse commission, ...

Le pire c'est qu'il est exactement ce que je déteste : grand, musclé, intimidant, impressionnant, sûr de lui... et beau, ça je peux l'avouer, et je vais devoir le supporter toute la journée pendant au moins une semaine.

Je ne connais même pas son nom ! Je m'apprête à passer une partie de mes journées avec un homme que je ne connais pas, et ça dépasse largement son identité. Qu'est-ce qu'il a fait comme études ? Où vit-il ? A-t-il de la famille ? Une femme et des enfants ? Un casier judiciaire ?

Comme cette nuit, ma gorge se serre, je sens mon cœur palpiter dans ma poitrine, mes membres se mettent à trembler. Je rejette les draps violemment et m'extirpe de mon lit. Je remets à plus tard ma séance de relaxation matinale et attrape mon téléphone.

6h59.

Je ne me pose même pas la question de savoir si c'est une heure convenable pour joindre ma thérapeute, je dois absolument lui parler avant ce soir. Je rédige un message rapide :

[J'ai besoin d'une consultation.]

Je n'attends pas de réponse immédiate, Clara n'allume pas son téléphone professionnel avant au moins neuf heures. Un de ses patients la harcelait jour et nuit, et avait même tenté de hacker son portable tant il était obsédé par elle. Depuis, elle s'impose une règle : le boulot pendant les heures de boulot, pour les urgences, il y a l'hôpital.

Je pourrais la contacter sur sa ligne personnelle, après tout, par la force des choses, elle est devenue l'une de mes meilleures amies, mais aujourd'hui j'ai besoin de ses talents de thérapeute. En clair, je vais aller à son cabinet, elle va m'écouter parler, puis elle va me poser les bonnes questions qui vont me permettre d'avancer et d'y voir plus clair. Alors que l'amie, je l'aurais appelée à n'importe quelle heure de la nuit pour lui expliquer mes angoisses, elle aurait certainement un peu compati et rappliqué directos à la première heure à la boutique pour constater de ses propres yeux mes dires.

Clara le fera bien entendu, mais dans un second temps...

Et j'espère alors qu'elle sera plus clémente avec moi.

Un verre de jus d'orange à la main, rituel du matin, je passe en revue le fil d'actu de mes réseaux sociaux. Tous professionnels, bien entendu. Mes comptes privés ont été désactivés pendant ma longue convalescence l'année dernière. Quand je dis « désactivé » je m'entends, disons plutôt que je ne m'y connecte plus. Parce que n'importe qui aurait plus de chance d'alunir que de réussir à fermer son compte Facebook. En d'autres termes, c'est quasi impossible.

À l'heure actuelle, ça fait si longtemps que le mien est aux oubliettes que je ne me souviens même plus de mes codes d'accès. Ça n'est pas plus mal. Ainsi, je suis certaine de ne pas alimenter la banque photo du web et de ne pas être identifiée dans un statut qui pourrait donner des informations sur ma vie personnelle.