Chapitre 7 : Vic

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« Si tu veux comprendre le mot bonheur, il faut l'entendre comme une récompense et non comme un but » Antoine de St Exupéry





Aout 2017

Je triture du bout des doigts un morceau de pain de mie. Deux petites bouchées. Il me reste deux ridicules petites bouchées et j'aurai mangé la moitié d'une tranche. C'est le deal avec ma psychothérapeute en échange de quoi, elle mange le reste de mon plateau. Aujourd'hui, bouillon de vermicelles et fromage blanc. Je ne lui souhaite pas bon appétit, ça serait déplacé. Et surtout c'est le même repas tous les jours depuis que j'ai le droit d'avaler quelque chose. Dans cette clinique, aucune chance que leurs patients grossissent avec ça, c'est encore pire qu'une ration de combat. Et à cet instant, je suis certaine que Clara pense comme moi. Elle grimace en faisant tourner sa cuillère dans le bouillon.

— Pourquoi vous ne vous préoccupez jamais de ce qui se passe en moi ? lui demandé-je.

Elle pose le couvert et repousse le bol. Cette fois-ci, je crois qu'elle ne le mangera pas.

— Je ne comprends pas ta question.

— Vous ne me demandez jamais si j'ai mal quelque part, ou si je cicatrise bien, ou encore si aujourd'hui j'ai réussi à marcher, précisé-je.

Elle penche sa tête sur le côté et me sourit. Encore une fois, elle est incapable de cacher son excitation. Je ne comprends pas trop ce qui lui plait dans ma question, c'est comme si je lui avais donné un bonbon après un régime sans sucre de plus d'un an. Ok, la comparaison est foireuse quand on sait qu'elle bouffe mes super-repas tous les midis depuis quinze jours. Elle m'a aussi regardé comme ça lorsque j'ai finalement décidé de ne rien dire à Charlyne.

Dans ma tête tout est clair. Ma meilleure amie ne va pas tarder à rentrer de son voyage. Dans moins de cinq semaines, si son enfoiré de petit copain ne change pas d'avis. Ça n'est qu'à son retour qu'elle apprendra ce qui m'est arrivé. Je suis déjà la ride principale sur le visage de ma mère – en plus des vergetures sur sa fesse gauche – je n'ai aucune envie d'être celle qui a écourté le voyage de Charlyne.

Je ne veux pas l'inquiéter, à savoir ce que ma thérapeute y voit ?

Je m'apprête à soupirer quand elle répond enfin :

— Je laisse aux autres médecins le soin de s'occuper de ton corps. Moi, je préfère ce qui se passe dans ta tête. Mais je n'en oublie pas pour autant tes autres blessures.

Je hausse les épaules et la préviens :

— Vous perdez votre temps. Il n'y a plus rien.

Dans ma tête, dans mon corps, on m'a tout enlevé. Alors que je pensais la résigner, ou au mieux la frustrer, son air satisfait s'accentue, son sourire s'agrandit. Elle récupère la cuillère dans le bouillon et me pointe du doigt.

— Je vais te donner un exemple.

Merde. Je ne sais pas ce que j'ai pu dire mais ça a suffi à lui redonner le courage de manger mon plateau. Elle engloutit une cuillère puis reprend :

— Si un oisillon ne vole pas et que ses parents sont persuadés que ça vient d'une de ses ailes, trop courte, malformée. Est-ce que tu te rangerais derrière leur avis ?

Pour ne pas qu'elle interprète ma réponse, je préfère lui poser une question à mon tour :

— Vous non ?

Elle secoue la tête, les yeux pétillants de malice :

— Mon histoire ne dit pas si l'oisillon a déjà essayé de voler. Et s'il avait tout simplement peur ?

Fight & DealOù les histoires vivent. Découvrez maintenant