Chapitre 4 : Vic

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« Dans la vie on ne fait pas ce que l'on veut mais on est responsable de ce que l'on est » Jean-Paul Sartre

Juin 2017, Trois semaines après l'agression

    Les rayons du soleil au zénith inondent la pièce dans laquelle je me trouve depuis presque deux semaines. J'y dors, j'y respire, je m'y éveille, rien de plus. Je déteste entendre les infirmières dire que c'est ma chambre. Ma vraie chambre se trouve dans mon appartement au dessus de ma boutique.

Mais cette pièce-là, c'est uniquement celle dans laquelle je survis.

Parce que je n'ai pas le choix. Parce que ma mère m'a suppliée. Parce que j'ai vu mon père pleurer de terreur. Parce qu'on m'a ramenée à la vie.

Ma rétine me brûle, mes yeux s'assèchent, mais je continue à fixer le ciel comme si perdre la vue n'avait pas la moindre importance.

Ça n'a pas la moindre importance.

C'est un peu comme cette douleur lancinante. En réalité il n'y en a pas qu'une, il y en a des tas, toutes différentes, dans tout mon corps. Il y a les brulures, les coups de poignard, les épines, les crampes, celles qui sont lancinantes, pulsatiles,... et il y a celle qui n'a pas d'égale. C'est la pire de toutes, parce qu'elle n'est pas le résultat d'un stimulus physique et que rien ne pourra la soulager.

Donc comme pour le soleil éblouissant, je ne grimace pas, je ne manifeste aucun gène.

Je suis juste ici, dans cette pièce, allongée dans ce lit, devant un plateau repas fourni d'un bouillon de légume, d'un yaourt nature, et d'une compote. Ça ne donne pas envie ? À vrai dire je ne sais même si c'est bon je n'y ai jamais encore touché. À ce plateau comme aux précédents.

Je l'ai dit : je dors, je respire et je me réveille dans cette pièce, rien de plus.

J'entends la porte s'ouvrir. Le temps qu'elle soit refermée le brouhaha du couloir de l'hôpital m'atteint. L'autre vie. Je ne regarde pas qui est entrée, je le sais. Rituel journalier, une petite blonde d'une vingtaine d'année, vient s'asseoir dans le fauteuil en face de mon lit pour y bouffer son sandwich et y lire un bouquin de médecine. En bref, un remake de Grey's Anatomy sauf que je ne suis pas dans le coma.

Il me semble qu'elle s'était présentée la première fois. Mais honnêtement, à ce moment-là je sortais des soins intensifs, et j'avais légèrement l'esprit embrumé par tous les calmants qu'on m'avait injectés.

Depuis, tous les midis, elle vient s'installer devant moi. Ça commence par un :

— Bonjour Victoria, comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

Auquel je ne réponds pas. Je ne réponds jamais. Si je devais lui répondre, je lui dirais : j'ai autant mal que je ne ressens rien.

Sauf que je n'ai aucune envie de lui faire la conversation, comme je me fous royal qu'elle soit là puisqu'elle se contente toujours de manger en silence.

Jusqu'à aujourd'hui du moins.

— Votre soupe est froide ?

Je l'ignore.

— Ou bien c'est le goût ?

Je ferme les yeux.

— Dans tous les cas, vous n'y toucherez pas, constate-t-elle.

Très perspicace.

— Et vous ne me parlerez pas non plus.

Ça a l'air de l'amuser. Pas à moi. Je ne parle à personne. Pas même à mes parents. Alors à elle. À cette inconnue.

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