Fight & Deal

Chapitre 11 : Vic

« Le bonheur ne se donne pas, il se travaille, il se peine, plus on attend des autres qu'ils nous donnent du bonheur, plus on court vers la frustration. Mais si l'on y travaille, lentement, parfois même péniblement, un jour on se demandera pourquoi l'on est tant heureux » Boris Cyrulnik

— Est-ce que tout va bien ?

Je ne compte plus le nombre de fois où Josie me l'a demandé. Il faut dire qu'elle m'a surprise à de nombreuses reprises les yeux dans le vague. Mais étrangement, sa question n'a jamais suggéré que ça puisse être quelque chose de grave. Au contraire. Je suis certaine qu'elle pense qu'il se trame un truc avec Jamie ou qu'en tout cas nous n'en sommes pas loin.

J'ai hésité à chaque fois à lui dire la vérité. Mais Josie, bien plus que Charlyne et Clara, ne doit pas savoir. Elle se ferait davantage de souci pour moi. Je ne sais pas si c'est d'avoir perdu sa fille et son mari dans un accident de voiture qui l'a rendue aussi protectrice avec mes amies et moi, ou si elle a toujours été autant aimante, attentionnée et affectueuse. Josie c'est déjà celle qui s'assure régulièrement que je vais bien, c'est celle qui a ramassé mon vomi sans grimacer lors de ma gastro l'année dernière, celle qui me rappelle de manger tous les midis et qui me laisse une assiette au frigo pour le repas du soir, c'est aussi celle qui vient régulièrement m'offrir un câlin – parce qu'on en a jamais assez d'après elle, c'est celle qui ne sait pas faire les magasins sans revenir sans un cadeau, ... C'est beaucoup de choses pour lesquelles je ne pourrais plus m'en passer. Et justement, je ne voudrais pas qu'il lui arrive quelque chose.

Georges, c'est mon affaire. Et c'est sans doute l'unique raison qui me retient de prévenir mes amies. Je veux toutes les protéger. Qui sait ce qui se passerait si une nuit il s'introduisait avec effraction alors que l'une d'elle dormait avec moi ?

S'il ne me tue pas ce jour-là, la culpabilité s'en chargerait à sa place.

Au téléphone avec la secrétaire du cabinet de comptabilité du coin de la rue, je note consciencieusement la commande. C'est pour jeudi prochain, 11h. Finalement, que certains de leurs employés viennent manger ici le midi a payé.

Josie, à mes côtés, tente de déchiffrer mon charabia sur le papier. J'écris clairement à son intention : BRUNCH, puis 20 personnes. Elle frétille, consciente que sur ce coup-là, il ne s'agit pas uniquement de petits gâteaux mais aussi de sa cuisine.

Soudain, j'entends mon portable sonner. Wannabe des Spicegirls résonne dans la salle et m'avertit qu'il s'agit d'un appel vidéo de ma conversation groupée avec Clara et Charlyne. Je cherche du regard mon précieux. En vain. Je ne peux pas quitter la caisse, la secrétaire me donne de nouvelles instructions. Sans viande.

— Ça exclut aussi le poisson ? demandé-je alors que Wannabe continue à se jouer.

« Oui, mais pas les œufs. » Je note Végétarien... Le sourire de Josie s'agrandit, une broutille pour elle. À l'instant où sa joie allait me contaminer, je m'affole. Jamie s'est emparé de mon téléphone. Je réagis au quart de tour et hurle : 

— Noooon ! Ne réponds pas !

À sa grimace face à mon écran, je comprends que c'est trop tard... Merde. Si c'est réellement ce que je crois, je prie pour que Clara se rende compte rapidement qu'il ne s'agit pas de moi.

« Ohhhh putainnnn ! » se met à hurler mon téléphone portable dans les mains de Jamie.

Elle sait.

Elle voit Jamie.

Et lui aussi...

Mon Dieu que voit-il ? Il se met à cligner des yeux, affolé, et éloigne instinctivement le téléphone dans les airs. Il voit le pire, c'est sûr.