Il n'y a pas de mauvaise route, que de mauvaises rencontres

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Citation de Patrice Leconte


- Attends !

Tobias se figea en même temps que le tireur. Il éloigna le canon de son visage, mais le jeune Audacieux n'avait plus que la voix de femme en tête qui résonnait en lui comme un vieux souvenir poussiéreux. La dernière fois qu'il l'avait entendue, c'était pendant les cris qu'elle avait poussé lors de l'accouchement. Et puis, plus rien. Elle était morte.

Evelyn Eaton.

Il se retourna lentement, les rouages de son corps complètement rouillés par la surprise. La dernière fois qu'il l'avait vue, elle était faible, allongée dans son lit, les deux mains sur son ventre rebondi.

Aujourd'hui, elle avait les joues creuses, le regard vif, la posture imposante et la carrure athlétique. Les dix ans qui s'étaient écoulés depuis sa disparition n'avaient pas marqué son beau visage fin, encadré par des boucles brunes. Au contraire, elle semblait plus jeune et plus aguerrie.

Elle aussi se crispa en soutenant le regard de son fils. Elle ne l'avait pas regardé dans les yeux depuis dix ans. Il n'avait pas non plus posé les yeux sur elle depuis tout ce temps. Évidemment, elle était morte.

Tobias replongea dans des souvenirs d'enfance. Après la mort d'Evelyn, il avait souvent songé à ce qu'aurait pu être sa vie s'il avait pu s'occuper d'un petit frère, et que sa mère était restée auprès de lui. Parfois il s'était imaginé avoir un petit garçon à ses côtés qui jouait en riant, ça lui avait toujours permis d'oublier les coups de ceinture qu'il venait de recevoir.

Mais à présent, il était perdu. On ne pouvait pas faire revenir les morts.

- Bonjour Tobias.

Il cligna des paupières. Entendre le son de sa voix lui paraissait irréel. Pourtant elle était bien là, debout face à lui, entourée d'une dizaine d'hommes armés ressemblant étrangement à des sans faction.

- Tu... Tu es...

- Morte, oui je sais.

Elle se mordit la lèvre. Elle n'avait pas du tout prévu de le croiser aujourd'hui, lors d'une de leur mission d'espionnage nocturne. Elle prit alors une grande inspiration :

- Je comprends que ce soit un peu...difficile à réaliser.

- Comment... Mais comment ?

Il était déboussolé. Un soldat se rapprocha discrètement de la femme, c'était Edgar avec son regard perçant dans l'obscurité qui lui murmura :

- C'est le moment de tout avouer.

Elle hocha fébrilement la tête et fit signe à ses hommes de s'éloigner. Ils suivirent tous Edgar et la famille fut enfin seule. Evelyn avança d'un pas, et à sa plus grande surprise, Tobias recula.

- Vous n'êtes pas ma mère, c'est impossible.

- Si ça l'est.

- Mais comment ?! s'emporta-t-il.

Il ne savait plus quoi penser. Mais que s'était-il passé dix ans plus tôt ? Evelyn lui fit signe de venir marcher avec elle hors de l'enceinte des Audacieux pour ne pas se faire remarquer. Dans le froid de la nuit, ils partirent côte à côte d'une démarche mal assurée hors de la surveillance du secteur Audacieux.

- Tu te souviens du jour où je suis partie ?

- Du jour où tu es morte tu veux dire ?

Evelyn déglutit. Le choc avait du mal à passer.

- Oui, je m'en souviens.

Oui, il se rappelait du jour où on avait emmené sa mère sous un drap blanc, du jour où, le regard noirci par la haine, son père lui avait annoncé qu'elle ne reviendrait plus. Du jour où il avait réalisé que sa vie n'allait faire qu'empirer, que son bonheur allait chuter, et que la grande descente était prévue pour bientôt.

Tobias Eaton (Origines) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant