Tobias Eaton (Origines)

La peur et la beauté sont incompatibles

Citation de Jean Filiatrault.

Evelyn descendit l'escalier de sa maison avec lenteur. Elle avait mal partout, et manqua de trébucher lorsqu'elle atteignit la dernière marche. Des bleus douloureux recouvraient sa peau, du visage jusqu'aux chevilles. D'un bras faible, elle peina à soulever la cafetière, et soupira de soulagement lorsqu'elle s'assit enfin devant son café fumant.

Marcus était parti quelques heures plus tôt, et Tobias dormait toujours. Elle ne voulait pas le réveiller. Elle allait s'occuper de tout aujourd'hui et laisser son petit garçon se reposer et s'amuser.

Lorsqu'elle alla poser sa tasse encore tiède dans le lavabo, elle ne pu s'empêcher de jeter un regard furtif à son reflet flou qui se dessinait dans la fenêtre de la cuisine. Ses cheveux bruns et ondulés retombaient sur ses épaules, et ses yeux cernés ainsi que ses joues creusées qu'elle n'avaient pas observés depuis des semaines faisaient peine à voir.

Certains altruistes souffraient parfois de l'interdiction de se regarder trop souvent dans un miroir. Evelyn avait tellement peur de l'image que pouvait lui renvoyer son reflet, qu'elle n'osait jamais ouvrir le placard qui abritait l'unique miroir poussiéreux de la maison.

L'après midi passa. L'heure à laquelle Marcus allait rentrer approchait à grands pas, et Evelyn le redoutait. Elle faisait la vaisselle d'une main fébrile tandis que Tobias jouait à l'étage dans sa chambre. Elle sourit. Son fils reprenait de l'assurance et de la joie de vivre lorsqu'il était loin de son père.

Une fois ses tâches terminées, elle enfila un long manteau gris et simple et poussa la porte de sa cabane de béton qui lui servait de maison. À l'extérieur, les altruistes allaient et venaient dans leurs vêtements tristes et maussades, entre les habitations toutes identiques. Ils transportaient de lourds sacs remplis de vêtements ou de nourriture qu'ils donnaient aux sans factions. Ceux ci, avec leurs mines sales encore plus affreuses que celle d'Evelyn, regardaient les passants avec un air triste et ahuri. Leurs vêtements en lambeau ne leur servait pas beaucoup, et Evelyn se surprit à réajuster sa coiffure après avoir dépassé une sans faction aux cheveux crépus et emmêlés.

Elle s'arrêta alors devant une porte, semblable à toutes les autres, dans le quartier des altruistes, et frappa avec douceur. Une femme avec de petites rides aux coins des yeux et au sourire charmant l'accueillit. Elle portait dans ses bras un nourrisson dont les quelques mèches blondes commençaient à apparaître sur son crâne rond.

- Bonjour Evelyn, commença-t-elle d'une voix douce.

- Bonjour Natalie, répondit la jeune femme. Andrew est là ?

- Non, il est allé distribuer des vêtements aux sans factions. Mais je t'en prie entre !

Evelyn pénétra furtivement dans la maison des Prior, qui ressemblait étrangement à la sienne et s'assit lourdement sur une chaise, suite à la proposition de Natalie. La maîtresse des lieux se retira un instant et revint avec un autre bébé un peu plus grand dans les bras et s'assit en face de son invitée, les bras chargés de bouches à nourrir.

Evelyn sourit et regarda avec attendrissement les deux enfants dans les bras de leur mère. Natalie le remarqua :

- Comment va Tobias ?

- Il se porte bien, articula Evelyn après un temps d'hésitation.

Le silence revint pendant quelques secondes. La petite fille observait son grand frère avec d'immenses yeux noisettes tandis que celui ci essayait vainement de s'échapper des bras de sa mère.

- Je vois que Caleb a bien grandit, poursuivit Evelyn en jetant un regard au garçon. Quel âge a-t-il ?

- Il va bientôt avoir un an, répondit Natalie sans cesser de sourire.