partie 35

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Tous se sont éparpillés, reconcentrés sur les tâches à faire pour la fin de matinée. Rick sillonne les allées de terre battue, le regard froid, agacé. Il lui adresse un geste rapide de la main mais ne fait pas mine de vouloir la rejoindre pour autant. Emma n'en a pas envie non plus. Elle lui répond mais avance vers le rebord de la butte qui descend vers la rivière. Comme ses pensées, son pouls qui ne veut se calmer, l'eau lui semble tout aussi tumultueuse.

Elle laisse retomber le pan de la porte en tissu derrière elle et la lumière grise de la tente de toile l'envahit d'une pénombre douce. Elle s'arrête enfin, ferme les yeux et s'oblige à respirer plus profondément.

Elle réalise que les picotements se déchainent sur sa pommette. Elle s'essuie d'agacement, ce qui accentue leur activité. Elle regarde ses doigts froidement, rouges de sang déjà presque sec. Elle regarde ses maigres affaires déjà posées sur le lit. Elle s'enferme dans le seul refuge à portée de pas. Celui-ci est vide, inhabité, inadopté... Elle ne fait que se cacher, que cacher sa frustration, sa rage, sa culpabilité.

"J'ai rien à faire ici... c'était une mauvaise idée...

La sacoche vole par dessus le lit et tombe grande ouverte. Elle y jette ses linges humides, le peu qu'elle en a sorti et qui n'a pas fini dans la petite armoire de bois à l'autre bout du camp.

Toujours la même boucle...

"Ouai ! Ba j'aimerais bien t'y voir !

Ses mots ci ne sont plus maugréés, inaudibles, comme tous les autres. Ils ont éclaté, comme une bulle d'oxygène. Qui la mettent hors de souffle. Elle tombe assise sur le lit de camp qui grince. La sacoche de cuir souple retombe mollement à côté d'elle.

"J'aimerai bien te voir... tout court...

Les coudes sur les genoux, ses mains recueillent sa tête pleine de cheveux qui assombrissent encore un peu son champ de vision. Les larmes brulent derrières les paupières closes.

Respire...

Sur le rose grisé de ses yeux fermés, les coups partent, les poings s'écrasent contre les visages, les corps perdent l'équilibre et retombent sur le bois. Tout n'est que craquements, de bois, d'os, de peau qui s'ouvre, de grognements d'hommes idiots qui se laissent déborder par leur besoin de démontrer leur force toute physique.

Son pouls réaccélère dans ses oreilles, la carotide à son cou se dilate de nouveau dans un rythme trop rapide. Elle s'oblige à souffler jusqu'au bout. Le tremblement de son menton est incontrôlable. Ce nouveau monde n'est pas davantage pour elle. Elle ferait mieux de rentrer, de ne plus sortir. Du tout.

Elle se redresse pour allonger sa colonne d'air, regarde le plafond de toile au dessus de sa tête puis ses bottines rouges.

Ca va passer... respire...

Au dehors le pépiement des oiseaux s'invite enfin à sa conscience. Elle n'avait même pas fait attention mais il passe par dessus le bruit de l'eau courante. Elle se lève lentement et ouvre la porte de toile. Un rouge-gorge décolle précipitamment à moins de deux mètres du seuil. Elle le regarde voler à tire d'ailes et sent ses viscères se détendre, son cerveau prendre du recul, ses poumons s'emplir d'air pleinement.

Les hommes sont des connards... Tu sais pas ça depuis l'temps ?

Elle fait un pas lent au-delà du seuil, fixe sa chaussure rouge comme si cela ne lui appartenait plus. Les mèches volent autour de ses épaules, de ses joues, avant qu'elle ne relève les yeux vers les arbres, la forêt. Ils habitent une forêt.

Solitudes de fleurs - TWD [TOME 9]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant