partie 1

422 14 18
                                    

Le miaulement est toujours là, toujours présent, toujours pressant. 

La porte du jardin s'ouvre. 

La nuit est sur sa fin mais le soleil encore loin. Les rapaces ont presque terminé leur festin, leur hululement dans le bois à proximité s'en va s'en vient. Encore une poignée d'heures et ils iront dormir plus loin.

La porte est grande ouverte.

L'air encore un peu frais frôle, entre sans gêne dans la maison calme et plongée dans le noir. 

Le miaulement insiste encore une fois. 

Le seuil métallique semble crier son encouragement. 

Faut y arriver. 

Un nouveau battement d'ailes traverse le petit jardin plongé dans le noir, plus lourd, plus bas. Clairement menaçant.

Le miaulement ne reprend pas tout de suite, attend un temps supplémentaire à son tempo pourtant bien assimilé. 

Immobile tout autant, dans l'attente de tout. 

Le volatile s'éloigne, une des cimes qui pointe davantage sur le fond du jardin semble faire bouger un plus la pénombre. 

Mais sans jurer.

Le miaulement de nouveau. Plus aigu mais aussi plus fort. 

L'oiseau est loin, ça aide. 

Nouvelle pression sur les rainures dures du seuil redevenu glacé. Il ne manque qu'un seul élan, en avant, une impulsion simple, élémentaire, inconsciente, pour que tout reprenne là où tout s'est arrêté.

Est-ce possible, vraiment ?

Un autre courant d'air s'y met, glisse, plus profond, taquin, sans plus de timidité lui, comme muté en créature aussi furtive mais plus concrète.

Non. Pas cette fois. Pas encore. 

Le cri s'extirpe sans prévenir. Il est le seul capable de passer ce seuil de métal. Aigu. Long et puissant. Il s'envole vers la cime qui remue à peine sur le fond sombre du ciel nocturne. Il s'éloigne avant de mourir dans sa bouche. Tel un hululement de rapace, naturel et à sa place.

La porte se referme lentement.

Un nouveau miaulement, atténué par le panneau fermé sur le monde du dehors, filtré par la vitre noire de la fenêtre. 

Reflet de l'intérieur, trop visible, la pénombre reprend sa place, toute la place. 

Un mouvement au sol dans toute cette ombre trop épaisse. Mais rien ne débouche du fond du trou noir en face.

Le miaulement ne se reproduit plus.

La luminosité de la seule bougie allumée sur le plan de travail gagne la partie. Les ténèbres reculent face à la lumière contre la vitre. Le dehors n'est plus visible, c'est fini, seul le reflet est là, flou mais têtu, mal défini, fait de taches pâles, frôlant des zones sombres, longues, toutes immobiles. Deux rubans noirs de chaque côté d'un visage livide, marqué de formes plus profondes, creusée, non brunies, granuleuses plutôt. Seules luisent, un peu, deux petites points à même hauteur, seuls signes de vie dans cette image fantasmatique et toute floue. 

Deux doigts s'élèvent d'eux mêmes,qui entrent dans le tableau flottant sur la vitre pour unique cadre, unique délimitation, seul espace d'existence. Ils explorent l'arête du nez court et arrondi, l'arcade du sourcil écourté d'un côté, comme dévoré par la peau qui s'est reformée, refermée, là, mais affichant le souvenir d'une torture passée, tourmentée, comme brûlée et reconstruite comme elle a pu sur les restes d'une déchirure explosée. L'index, le premier, ne résiste pas à suivre le chemin tout tracé de la chair un temps à vif et recousue, à jamais exposée et stérile. Le sillon court jusqu'au milieu du crane, horizontal, dépassant l'oreille gauche, avant de laisser la lisière des cheveux reprendre ses droits.

-Mon ange...

La voix rauque franchit difficilement les lèvres sèches et la mâchoire serrée à faire grincer les dents. Le mot arrache la gorge autant que le coeur. Le souvenir surgit à chacun de ces reflets. Les joues semblent un peu moins creusées soudain, mais tout reste trop flou pour pouvoir l'affirmer. Combien de jours, de semaines tout au plus ?

Le sommeil revient un peu, plus long, moins fragile, de jour en jour. Sauf certaines nuits, comme celle-ci, coincée dans un monde entre deux flots. Le soleil n'est pas près de se pointer pour stopper toute course ou toute hésitation. Le canapé, au delà de la bougie pourrait faire l'affaire, peut être, au moins cette fois. Quelques pas suffisent, délaissant le trop triste tableau.

Le miaulement est maintenant inaudible. 

L'attention est partie ailleurs, sur une autre rive, portée par un autre courant.

Le côté gauche, le dossier haut qui reçoit la tête, déjà lourde, l'assise s'assouplit sous le pied et la jambe repliée, le genou contre l'accoudoir. Les pupilles qui piquent enfin, se ferment sans vraie difficulté.

Le miaulement traverse les murs, les oreilles et la somnolence. 

Salopard.

La porte est ouverte. 

Le soleil pointe enfin, incendie le ciel. Les oiseaux, plus petits, pépient à tout va pour cette nouvelle journée de vie et de mort annoncées. Ils oublient tout. A chaque lever de soleil, ils oublient tout.

Le miaulement est toujours là, mais épuisé.

Allez !

Les bras serrent un peu plus fort à chaque appel, à chaque envie. 

Le seuil est froid. 

Immobiles. Collés.

Le courant d'air du jour, déjà insensiblement plus chaud, entre à son tour. 

Un soupir soulève les épaules, le ventre, presque les hanches, les genoux, les pieds.

Mais tout reste en réalité sur le seuil.

La porte reste ouverte.

Figée. 

Solitudes de fleurs - TWD [TOME 9]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant