partie 3

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Someone you loved - Lewis Capaldi

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La porte du frigo se referme alors que je me retourne pour la regarder. Pendant que je prenais ma bière, elle s'est assise sur l'îlot de la cuisine. Elle arrive maintenant à ma hauteur, suçant la cuillère de porridge qu'elle a dû se faire plus tôt. Sa tête est toujours baissée. A ne pas me regarder en face. Presque jamais. Son front tranche de sa pâleur au milieu du brun de ses mèches qui tombent. Que d'un côté de la tête. L'autre est ras ou tressé, j'en sais trop rien. Plaqué toujours. Son petit nez plus bas, plus profond dans l'ombre de ses cheveux longs qui cadrent, atténuent les courbes anguleuses de sa silhouette en permanence.

Ma main vient se poser sur son genou, le plus proche de moi. Sans pouvoir m'en empêcher, je fixe ses mèches cachant son visage baissé, je lève le goulot de ma bouteille de verre que j'ai déjà à la bouche. Je salive. Mais je ne la quitte pas des yeux. Pas une seule seconde. Ma paume recouvre sa peau blanche, tiède, nue et je n'ai qu'à pousser légèrement pour que les deux cuisses s'écartent d'elles-mêmes, glissant sans bruit contre le plan de travail où elle est assise. Elle ne relève même pas la tête, ni même les yeux.

J'avale une gorgée, doucement amère, en même temps que j'approche encore. Tout se fait au même moment, dans une continuité, un élan naturel, avec seulement le silence pour envelopper. Ses cuisses se resserrent déjà lorsque j'arrive tout contre elle, m'immisçant à l'intérieur sans effort, sans à-coup ni obstacle. Tout roule, avance, là où tout doit être.

Je resterais là toute ma vie.

Je sens la griffure légère de ses doigts au milieu de mon dos, à travers ma chemise de coton à laquelle ils s'accrochent. La chaleur est douce, constante, idéale, envahissante. La pulsation, caractéristique, bat mon membre, la pression de ses cuisses contre mes hanches m'amarre à elle dans ce tempo impérieux. 

Je resterais là toute ma vie.

Le battement s'imprime dans mes tempes, dans mon coeur, , dans mon souffle qui raccourcit, de plus en plus saccadé, superficiel, insuffisant.

Je baisse une seconde les yeux pour regarder physiquement ce que je ressens. La pression de ses cuisses, mes mains sur sa peau. Soudain, autour de ma taille et au-delà, tout est là mais disparaît, s'évapore, évanescent, flou, pas plus épais qu'un hologramme faiblard ; alors que je distingue pourtant bien les mèches brunes, le sommet de la tête posée contre mon torse. En réalité, il manque tout au dessus de cette foutue pulsation, autoritaire, obsédante, qui tient ma vie à son seul fil, qui résume tout. Je ne sens pas, plus, son corps à elle, plus ses bras, ni sa tête que je distingue qu'avec une difficulté grandissante, encore moins son souffle, son coeur, sa vie.

Rien. Plus rien. Plus que cette pulsation sourde et lente, lourde et puissante, de moi en elle.

Je resterai pourtant là toute ma vie.



J'ouvre les yeux, à bout de souffle. Le plafond inaccessible, à plusieurs mètres au dessus, me surplombe. Je cligne deux ou trois fois, savourant l'air qui entre à nouveau dans mes poumons. Je reviens en même temps là où je me suis endormi. Seul. 

Seule la chaleur irradie, la pulsation m'immobilise, allongé, cloué sur mon matelas, pantelant, les yeux et la bouche grands ouverts. J'absorbe la réalité de ma vie qui me tombe dessus, de tout son poids, comme chaque matin. La chaleur recule. La pulsation se calme dans mon bas ventre et dans ma cage thoracique qui s'apaise petit à petit. Maintenant, mes yeux oublient de cligner. 

Solitudes de fleurs - TWD [TOME 9]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant