Chapitre 9

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Bucky serre fort dans sa poche les billets de tram, le programme du film découpé dans le journal, deux cents pour le pop corn, en scrutant les visages des élèves qui quittent les classes, un à un, mornes et lents. Un à un. Steve n'est pas parmi eux. Peut-être s'est-il précipité dehors pour ne pas le faire attendre ? Bucky doute qu'il soit parvenu à ne le pas croiser dans le couloir, mais il étouffe son inquiétude absurde. Il fait les cent pas devant les grilles, salue vaguement un camarade ou deux, des élèves pressés de quitter les lieux. Il sursaute toutes les trente secondes à l'éclat d'un cheveu blond, mais ce n'est jamais Steve.

Bientôt, il est seul devant les grilles. Le gardien le presse dehors.

Steve ne peut pas avoir oublié, de toute façon, ils se seraient attendus pour rentrer. S'il avait été blessé par Richard ? S'il était tombé malade ?

Bucky remonte la cour déserte, emprunte les escaliers de l'infirmerie - heureusement déserte - attends, non, s'il avait été évacué à l'hôpital ? Les professeurs discutent derrière les portes, terminent de ranger leurs classes. Il vérifie encore par une fenêtre que Steve n'est pas miraculeusement apparu en bas, près de la sortie. Personne. Si ça se trouve, lui aussi est remonté et ils sont en train de se manquer l'un l'autre. Ce serait marrant. Enfin, deux minutes, quoi.

Bon. Il ne reste qu'un couloir à vérifier. Tous mes espoirs reposent là, mais si Steve y est, ce sera aussi à mon grand désespoir.

Bucky se tapit dans l'ombre, près de l'angle du mur, et prend une profonde inspiration. Il passe la tête dans le corridor, si furtif qu'il se cogne l'arrière du crâne sur le mur en se rétractant.

Évidemment.

Steve est assis sur le tabouret, devant la porte du bureau de Harrington.


Steve lève la tête, interpelé par un tintement. Un éclat de métal ricoche et échoue non loin de ses pieds. Son coeur bourdonne quand il reconnait ce que c'est. Il se précipite pour le ramasser.

« Bucky ? murmure-t-il, le soldat de plomb dans les mains. Qu'est-ce que tu fiches ici ?

- Non mais je rêve ? » répond l'autre.

Un silence.
« Élémentaire mon cher Rogers : je te suis n'importe où, c'est toi qui l'as dit en premier.

- Prépare-toi pour les Enfers. » fait Steve en désignant la porte du directeur.

Bucky quitte son recoin et à la stupeur de Steve, il le rejoint et s'assoit à même le sol, à côté de lui.

« Je suis désolé.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Steve soupire mais n'ouvre pas la bouche.

« Hé, je t'ai posé une question ! Harrington ? Les jouets, il a su que c'était nous ?

- Non !

- Ne mens pas.

- Je ne mens pas. »

Steve reste silencieux.

« Oh, je vois, tu ne mens pas donc tu ne dis plus rien.

- Il a vu mon canif.

- Ton... ? Nan !

- Je ne pensais pas que ça pouvait passer pour une arme ! »

Bucky rit. Il rit, le cœur lourd et son rire fait des clapotis au sommet des vagues et plonge encore dans la déception.

« Il a envoyé poster un message pour ma mère, et je suis retenu tout l'après-midi. »

La déception et la réflexion.

À BrooklynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant