« Et toi, Steven, où vas-tu ?
- Dans l'espace !
- Pas taillé pour ce monde ? »
Steve dodeline de la tête.
« C'est pas vraiment ça. Pas une fuite.
- L'art n'est jamais une fuite. »
Wallace lève le visage et inspire la poussière du Queens.
« J'anime des ateliers à l'hôpital, auprès d'enfants, reprend Steve. J'ai postulé aussi pour donner des cours du soir aux Civilian Conservation Corps. Publié une histoire dans un fanzine, avec des gens de la promo.
- Félicitations !
- Un tout petit tirage, rit-il, mais ça m'a motivé à construire une histoire plus complète, soigner les dessins. Je comprends maintenant ce que tu voulais dire, quand tu me disais que ce n'est pas parce qu'on invente qu'on peut tout se permettre.
- Maintenant, tu sais que tu en es capable. Maintenant, tu as le monde de ton choix entre les mains. »
Réinventer le monde parce qu'on a peu d'espoir d'avoir du pouvoir sur celui-là, si ce n'est pas une fuite, qu'est-ce que c'est, alors ?
« Tu peux pas être tout le temps sur la lune, toi, il te faut toucher le réel à coups de poings. T'es un guerrier artiste.
- C'est gentil de le dire. »
A côté de Wallace, on ne se sent jamais assez artiste.
« Tu n'es pas mon genre, Steven, pourtant je te trouve mignon quand même.
- Ce n'est pas un compliment, pourtant ça fait plaisir quand même.
- Je ne suis pas ton genre non plus. »
Steve secoue la tête, un peu embarrassé. Wallace est mélancolique, en ces jours doux de septembre qui chantent Alléluia. Il ressemble à un chevalier errant, ceux qui se mettent en aventure car il n'y a rien d'autre qui les appelle, car leurs ailes ne souffrent aucun manteau d'humanité. Steve n'est pas de cette espèce-là.
« Theodore manque à l'appel ?
- Theodore ? Oh, seigneur, quelle histoire antique. »
Il ne se moque pas non plus en disant cela. Il semble l'avoir réellement oublié. De ce que Wallace raconte, il n'y a pas d'intrigue à tirer, rien que des bouffées d'émoi, des couleurs et des textures dans lesquelles sa personne s'incarne pour un temps, spectre vagabond. Wallace a accepté la malédiction tout entière. Tout ce que Steve voit de lui n'est déjà que son sillage lumineux et énigmatique.
« Tu as de nouveaux amis, alors, à Abundale ?
- Oui, je crois, des gars avec qui on discute un peu à midi, ou le soir au théâtre. Qui me conseillent sur ce que j'écris et dessine.
- Ce n'est pas cela, l'amitié ?
- Je ne sais pas trop. »
Il songe à Arnie qu'il n'a plus côtoyé depuis qu'il est entré au lycée, aux copains de Bucky qu'il ne revoit qu'une fois l'an et qui ne l'ont jamais considéré. À Doug, avec un sourire, à Ruth et Mathilde avec un regret. À cet idéalisme un peu idiot qui parasite ses flancs et le prive des amitiés banales et durables. Non, il n'est pas doué pour l'amitié. Il pense à Bucky, à l'envie d'embrasser sa peau et de le serrer de toutes ses forces dans ses bras chaque fois qu'il le voit, et de sentir vibrer son rire contre sa cage thoracique. Mais aussi à la loyauté qui le défend de son bouclier glorieux.
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À Brooklyn
Fanfiction// Stucky // À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu. Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulement Voici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, en meme temps q...